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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/70

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

choses visibles et invisibles ; toutes les choses visibles passeront dans les choses intelligibles et les choses intelligibles en Dieu même ; et cela se fera par une admirable et ineffable union, mais non point, nous l’avons dit souvent, par une confusion ou par une destruction des essences ou des substances (mirabili et ineffabili adunatione non autem, ut sæpe diximus, essentiarum aut substantiarum confusione et interitu).

« La nature avec toutes ses causes, dit-il encore[1], se mouvra en Dieu comme l’air se meut dans la lumière ; en effet, Dieu sera toutes choses en toutes choses, quand il n y aura plus que Dieu seul. Nous ne sommes pas obligés d’affirmer pour cela que la substance des choses périra, mais seulement qu’elle retournera, par les degrés divers que nous avons dit, à quelque chose de meilleur. Comment pourrait-on dire qu’une chose périt, lorsqu’on démontre son retour à un état meilleur ?

Pour essayer de faire comprendre à son Disciple comment les créatures, revenues à leurs substances respectives, pourront être pleinement unies à Dieu et demeurer, cependant, parfaitement distinctes, l’Érigène multiplie les comparaisons ; il cite et discute les textes de divers docteurs, de Saint Augustin, de Saint Grégoire de Nysse, de Maxime le Confesseur ; un texte de Saint Ambroise le conduit aux conclusions suivantes[2] :

« Nous ne devons pas entendre que Saint Ambroise nous ait prétendu persuader de la confusion ou de la transmutation des substances, mais qu’il a voulu très évidemment enseigner une certaine union (adunatio) ineffable et inintelligible de nos substances. Rien ne subsiste, de la nature humaine, qui ne soit purement spirituel et intelligible, car, assurément, la substance même du corps est intelligible : dès lors, il n’est pas incroyable, il ne répugne aucunement à la raison que ces substances intelligibles s’unissent ensemble, de telle sorte qu’elles soient, d’une part, une seule chose, et que, d’autre part, chacune d’elles ne cesse point de posséder sa propriété et sa subsistance ; toutefois, les substances inférieures doivent se trouver, par là, contenues dans les essences supérieures ; la saine raison ne permet pas, en effet, que les essences supérieures soient routenues, attirées, absorbées par les essences inférieures ; ce sont, au contraire, les essences inférieures qui sont attirées par les substances supérieures, qui sont absorbées par elles, non pas pour cesser d’exister, mais afin d’être mieux

  1. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. V, cap. 8 ; éd. cit., col. 876.
  2. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. V, cap. 8 ; éd. cit., coll. 878-879.