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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/79

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SCOT ÉRIGÈNE ET AVICÉBRON

forme supportée par la matière, il faut bien la considérer à part et la désigner par un nom spécial ; il est impossible, en effet, que la forme de l’Intelligence qui réside en l’essence de la Volonté, existe, avant de s’être écoulée hors de la Volonté et d’avoir été appliquée à la matière, telle qu’elle sera après qu’elle se sera écoulée et qu’elle aura été conjointe à la matière.

» La seconde forme est celle qui, d’une manière actuelle, est conjointe à la matière ; c’est la forme de l’Intelligence universelle.

» La troisième forme est celle qui est conçue hors de la matière mais qui est, en puissance, conjointe à la matière.

» Ne t’indigne donc pas de voir Platon diviser la forme en trois modes qui sont les suivants : Le premier est la forme qui est en puissance et n’est pas encore conjointe à la matière ; le second est la forme qui est en acte et conjointe à la matière ; le troisième est la forme des éléments, c’est-à-dire les quatre qualités premières. »

La théorie de la forme qui est ici attribuée à Platon est évidemment corrélative de la théorie de la matière qui, précédemment, s’est trouvée mise sous son nom ; les deux premiers modes sous lesquels la forme peut être considérée correspondent visiblement à la matéria informis et à la materia informata. Nous ne serons donc point étonnés de trouver, à côté de passages où le De divisione naturæ distingue entre la matière informe et la matière informée, d’autres passages où la forme est subdivisée d’une manière analogue.

En ces passages[1], nous voyons le fils de l’Érin considérer « une forme qui informe la matière spécifiée, une forme qualitative qui. adjointe à la matière, produit effectivement le corps ; cette forme qualitative, par l’ensemble de la quantité et de la qualité, apparaît aux sens corporels ; adhérente à l’instabilité de la matière, elle accompagne celle-ci en ses fluctuations ; elle est soumise à la génération et à la corruption. »

À côté de cette forme, il en est une autre, « l’espèce ou forme spécifique, qui subsiste, immuable, en son genre, qui n’éprouve aucun changement lorsque change le corps composé de matière et de forme qualitative… Cette forme substantielle occulte, autour de laquelle roulent les flots des accidents, luit clairement aux yeux de l’intelligence qui discernent les natures des choses… C’est par participation à cette forme substantielle qu’est informée toute espèce individuelle ; elle est unique en toutes ces espèces individuelles et tout entière en chacune. »

  1. Joannis Scoti Erigenæ Op. laud., Lib. III, Capp. 27-28 ; éd, cit., coll. 702-704.