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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome V.djvu/90

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LA CRUE DE L’ARISTOTÉLISME

Jean Scot Erigène, qui semble n’avoir pas été ignore des auteurs du Zohar, répétait, en les commentant, les paroles de Denys[1] ; mais par un désir analogue, les rabbins désignent Dieu par un nom qui signifie nulle chose, qu’on peut traduire par Non-être ou Néant. Pris sous ce premier aspect, Dieu est l’Ancien des anciens, le Mystérieux des mystérieux ou bien encore Jéhovah.

Sous le second aspect, Dieu réside dans les êtres créés en même temps que dans son essence : par l’intermédiaire de ses enivres, il nous laisse deviner quelque chose de lui ; ainsi manifesté dans la création, Dieu se nomme Élohim.

Élohim émane de Jéhovah, en sorte que Jéhovah reçoit souvent le nom de Père et Élohim le nom de Fils ; mais cette émanation ne produit pas un être distinct de celui dont il émane : Jéhovah et Élohim sont un même être.

L’union de Jéhovah et d’Élohim est souvent comparée à une union conjugale, dans laquelle Jéhovah serait le mâle et Élohim la femelle ; aussi Élohim ne reçoit-il pas seulement le nom de Fils, mais encore celui de Mère,

C’est par cette union de Jéhovah et d’Élohim que le Monde a été créé ; c’est par elle que l’équilibre, la paix, le bonheur sont assurés dans ce Monde ; les rabbins s’expriment comme si cette union était intermittente : au moment où elle s’accomplit, la Clémence règne dans le Monde ; mais la Clémence fait place à la Rigueur quand Jéhovah se sépare d’Élohim. Certains personnages d’une sainteté particulière, comme Moïse ou David, peuvent, par leurs invocations, provoquer l’union de Jéhovah avec Élohim et, partant, assurer au Monde un temps de bénédictions,

Dieu, cependant, considéré dans son essence, ne connaît pas ers intermittences ; il est parfaitement immuable,

Élohim, c’est Dieu, en tant qu’il réside dans les choses créées et qu’il se manifeste à nous par leur intermédiaire ; il est donc, à la fois, en Dieu et dans le Monde, en sorte qu’on peut parler d’un Élohim d’en haut et d’un Élohim d’en bas, on bien encore d’une Gloire (Schekhina) d’en haut et d’une Schekhina d’en bas, Mais, par là, nous distinguons deux aspects d’une même hypostase, non deux hypostases distinctes ; il n’y a pas deux Élohim, deux Schekhina ; l’Élohim d’en haut et l’Élohim d’en bas, la Schekhina d’en haut et la Schekhina d’en bas ne font qu’un.

Telle est, débarrassée de toute allégorie, la doctrine qui nous

  1. Joannis Scoti Erigenæ De divisione Naturæ lib. III, cap. 19 [Joannis Scoti Erigenæ Opera. Accurante Migne (Patrologiæ Latinæ t. CXXII), col. 622].