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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/108

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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

souveraine vérité et la souveraine sagesse, permette tant d’erreurs en ce monde ». Socrate vient à passer et s’informe de la cause qui assombrit la méditation de notre religieux. « Je cherche, lui répond celui-ci, comment la Théologie et la Philosophie pourraient s’accorder entre elles ainsi que se doivent accorder la cause et l’effet. » « Depuis longtemps, riposte Socrate, je désire, moi même, connaître le moyen d’établir cet accord. » « Ignores-tu, reprend Raymond, que l’Evêque de Paris a condamné deux-cent-dix-neuf articles, contraires à la Théologie, contraires à Dieu et à ses opérations ; ces articles, certains philosophes les affirment ; ils prétendent qu’ils sont vrais selon la Philosophie ; or cette vérité n’est pas possible, car si ces articles étaient vrais, la Théologie ne le serait point du tout. » Un tel langage irrite Socrate ; « Les articles que les philosophes ont déclaré vrais selon la Philosophie contiennent assurément la vérité, car c’est la nature de la Philosophie de porter des affirmations vraies. » Il se déclare donc prêt à soutenir contre tout adversaire que ces articles sont bons et vrais. Lull relève le défi ; sur chacun de ces textes, Socrate et lui vont, tour à tour, défendre leur opinion et chercher si quelque accord est possible entre leurs doctrines : « lorsque nous ne pourrons aboutir à cet accord, nous recourrons aux jugements des maîtres discrets en Philosophie et en Théologie de l’Universilé de Paris, et si l’un de nous deux s’est trompé, il recevra de ces révérends maîtres la correction de son erreur et la doctrine véritable. »

Raymond présente d’abord à Socrate les axiomes philosophiques dont ils demeureront d’accord en leur dispute ; après que Socrate a concédé ces postulats, le tournoi commence ; il se développe au cours de deux-cent-dix-neuf chapitres dont chacun correspond à l’un des articles visés par Étienne Tempier ; Socrate se borne à énoncer la proposition condamnée ; Lull expose les raisons qui obligent à la rejeter. Puis[1], d’un commun accord, Socrate, qui proteste de son affection pour la Foi chrétienne, et Raymond Lull, soumettent leurs dires à la correction des maîtres de Paris. « Raymond et Socrate s’en allèrent donc, avec le livre qu ils avaient composé ; pleins d’espoir et de respect, ils le présentèrent à Monseigneur l’Évêque de Paris, au chancelier, au recteur, à Messieurs les maîtres de l’Université, attendant d’eux une bonne réponse, qu’ils recevront avec humilité et dévotion. »

Il n’entre pas dans notre pensée de résumer ici l’argumentation de Lull en faveur de chacun des articles de Paris ; plusieurs fois,

  1. P. Otto Keicher, Op. laud., p. 221.