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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/137

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HENRI DE GAND

tout catholique, que la création émane nécessairement de Dieu et n’est point l’effet de son libre vouloir.

« C’est en admettant que la nature et la production de la créature ne résultent point de Dieu par une nécessité de la nature divine, mais par une libre volonté que nous posons cette question : Répugne-t-il à la créature d’exister de toute éternité, cas auquel Dieu n’a pu la produire de toute éternité, ou bien non ?

»… Qu’il soit impossible de prouver que la créature a commencé lorsqu’on admet ce que les philosophes supposaient touchant la nature de la créature et la façon dont elle tient de Dieu son existence, cela est bien vrai… Mais si c’est à la manière des catholiques que l’on conçoit la nature de la créature et la façon dont elle tient de Dieu son existence, il est parfaitement possible de démontrer qu’elle a eu commencement…

» Nous devons donc déclarer d’une manière absolue non seulement que le Monde a commencé d’exister depuis un certain temps, mais encore qu’il n’a pas pu exister de toute éternité et que cela répugne à sa nature. »

Comment Henri de Garni va-t-il prouver cette affirmation ? En reprenant, contre Avicenne, la doctrine d’Aristote ; en montrant qu’une chose éternelle est forcément nécessaire, qu’il n’y a en elle aucune place pour la possibilité, pour la contingence.

« On dira peut-être que ce dont l’existence a été prédestinée de toute éternité aurait pu ne pas être, de toute éternité, prédestiné à l’existence ou bien être, de toute éternité, prédestiné à la non-existence ; en cette sorte, bien que le Monde tienne de Dieu son existence de toute éternité, qu’il ne l’ait pas reçue de lui [par innovation], toutefois, ce n’est pas par une nécessité de la nature divine ni par une volonté invincible liée à cette nature que le monde tient, de Dieu, de toute éternité, son existence ; il eût pu se faire qu’il ne la tînt pas de lui de toute éternité ; il eût pu acquérir de Dieu cette existence [en un certain commencement, selon ce que veut la Foi].

» Au contraire, selon le Philosophe, ce qui est est nécessaire tandis qu’il est ; pour le temps pendant lequel il existe, il n’y a pas en lui de puissance à ne pas être, ni de la part de l’être lui-même, ni de la part d’une cause efficiente quelconque ; car il n’y a aucun pouvoir apte à faire cela, [que ce qui soit ne soit pas tandis qu’il est,] car ce serait le pouvoir de faire coexister les contradictoires. De même, toute chose qui a été, a été d’une manière nécessaire pour la durée de son existence ; et toute chose qui sera, il est nécessaire, pour le temps pendant lequel elle sera, qu’elle soit ;