Aller au contenu

Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/152

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
142
LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

essence, et, d’autre part, une chose, considérée en son essence, ne signifie rien d’autre qu’une certaine abstraction (quid absolutum) ne possédant rien en elle-même qui la détermine à exister d’une manière actuelle ou à ne pas exister. La faculté de concevoir qui est en notre esprit saisit donc la quiddité ou essence d’une chose d’uue manière abstraite et isolée (absolute), sans y impliquer par la pensée aucune condition d’existence ou de nonexistence, non plus qu’aucune condition d’existence universelle ou d’existence singulière…

» Si nous parlons maintenant de l’essence de la créature au point de vue de ce qu elle est réellement en elle-même (quoad ipsam certitudinem ejus in seipsa), je dis que, de cette façon, elle ne se comporte plus du tout d’une manière indifférente à l’existence effective ou à la non-existence effective, si l’on veut entendre par là qu’elle n’a ni l’une ni l’autre mais garde une égale disposition à l’égard de l’une et à l’égard de l’autre. Pour chacune des deux, en effet, on doit formuler une affirmation ou une négation, et l’on ne peut ni les affirmer toutes deux à la fois ni les nier toutes deux à la fois… Sans doute, l’essence de la créature, considérée dans sa notion rationnelle (raZï’one sua), ne se détermine à elle-même, comme nous l’avons dit, ni l’être ni le non-être ; par elle-même, elle n’est ni être nécessaire ni non-être nécessaire ; elle est être possible et non-être possible. Hors de l’esprit et dans les choses singulières, elle a toujours ou bien l’existence, ou bien la non-existence. Enfin, dans l’intelligence, comme nous l’avons exposé, elle a seulement l’être ; cet être-ci, c’est l’existence essentielle ou rationnelle (esse essentiæ vel rationis).

« En toute essence ou nature créée[1], il y a à considérer deux choses : L’essence elle-même, en tant qu’elle est essence, et l’existence actuelle ou subsistance de cette essence.

» Quant à ce qui constitue l’essence, entant quelle est essence d’une manière abstraite, il y a en elle une double indifférence.

» D’une première manière, elle est indifférente à l’existence actuelle et à la non-existence actuelle ; par elle-même, elle est également apte à exister et à ne pas exister, bien qu’elle le soit d’une manière différente. Par elle-même, en effet, et abandonnée à elle-même, c’est la non-existence qu’elle possède toujours. Si elle possède l’existence, c’est en tant qu’elle est un effet de Dieu ;

  1. Henrici a Gandavo Quodlibeta, quodlib. II, quæst. I : Utrum Deus per unam ideam coçuoscat diversa individua ejusdem specici. Ed. cit., fol. XXVIII, verso.