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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/176

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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

Tout ce qu’on explique à l aide de cette pluralité de formes[1], on le peut aussi bien expliquer à l’aide d’une forme unique ; et cela serait vrai même en l’homme s’il n’y avait, comme nous le verrons, une autre raison qui, en lui, répugne à cette simplicité. Or, ce que la nature peut faire à l’aide d un moyen unique, elle ne le fait jamais à l’aide de plusieurs moyens, car elle ne fait rien en vain… Voici ce qui se passe en toutes les substances douées de matière : Il est, en des êtres divers, des formes qui ont des degrés différents de perfection, et des vertus différentes qui correspondent à ces perfections différentes ; grâce à ces vertus, ces formes sont les principes d’opérations différentes. Ainsi en est-il, daus les pierres, de la forme du mixte ; dans les plantes, de la forme végétative ; dans les animaux, de la forme sensitive ; dans les hommes, de la forme raisonnable. Jamais on ne doit supposer que, dans un même individu, une dos formes moins parfaites qui viennent en premier lieu coexiste avec une des formes plus parfaites et qui viennent ensuite de telle façon que ces deux formes demeurent substantiellement distinctes ; ce serait tenir le même langage que ceux qui admettent, en toutes choses, la gradation des formes ; mais il faut supposer que la forme moins parfaite existe virtuellement dans la forme plus parfaite. La forme suivante existe donc en une simplicité substantielle ou essentielle égale ou supérieure à la simplicité de la forme précédente ; mais, en raison de sa plus grande perfection, elle possède en elle-même tonte la vertu que possède la forme inférieure. Or, c’est grâce à sa vertu qu’une forme est principe d’opération. Il n’est donc pas nécessaire, pour rendre compte de la pluralité des opérations…, de mettre plusieurs formes en un même être ; il suffit d’en mettre une seule qui contienne toutes les autres en elle-même d’une manière virtuelle ; nous admettrons, par exemple, que par une même forme simple, l’animal est à la fois corps mixte, être doué de végétation et être doué de sens. » C’est le langage même de saint Thomas d’Aquin que nous venons d’entendre dans la bouche d’Henri de Gand.

« Certaines personnes, poursuit Henri[2], pensent que cette diversité d’opérations est la seule raison que l’on ait de mettre, en un même individu, plusieurs formes échelonnées ; ils refusent donc la pluralité des formes à toute chose naturelle et même à l’homme. Leur thèse est la suivante : En tout être singulier, il y a une

1. Henri de Gand, loc. cit. ; éd. cit., fol. CVI, recto.

2. Henri de Gand, loc. cit., éd. cit., fol. CVI, verso.

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