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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/18

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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

Cotte fin de non-recevoir, opposée par le De erroribus philosophorum aux raisonnements d’Aristote en faveur de l’éternité du Monde, du temps et du mouvement, est aussi celle que Saint Thomas d’Aquin invoquait en sa Somme théologique.

Moïse Maïmonide avait prétendu[1] trouver dans les écrits mêmes d’Aristote la preuve que le Philosophe n’était pas assuré de l’éternité du Monde et qu’il ne prisait pas comme convaincantes les démonstrations qu’il en avait données. Cette excuse en faveur d’Aristote avait été accueillie par Albert le Grand[2] et par Saint Thomas d’Aquin[3] ; elle avait été, surtout, accueillie avec grande faveur par Roger Bacon[4], qui prétendait retrouver chez les philosophes anciens tous les dogmes de notre foi. Mieux inspiré, notre auteur n’admet pas que l’on disculpé ainsi le Stagirite : « Quelques personnes, dit-il, veulent excuser le Philosophe touchant l’éternité du Monde ; mais cette excuse ne peut tenir car, pour prouver les vérités philosophiques, il se fonde sans cesse sur ledit principe ; bien plus, il n’a peut-être écrit aucun livre où il n’ait admis quelque chose qui y a trait. »

À côté de l’éternité du Monde, le traité De erroribus philosophorum reproche à Aristote quelques autres erreurs ; il en est deux auxquelles il convient que nous accordions une mention.

L’une d’elles est comprise en la théorie des Intelligences séparées qui meuvent les cieux ; Aristote a admis que toute intelligence capable de produire un mouvement devait, d’une manière actuelle, mouvoir quelque corps ; « aussi a-t-il dit, comme on le voit au XIIe livre de la Métaphysique, qu’il y a autant d’anges ou d’intelli gences qu’il y a d orbes… en sorte qu’il y en a quarante-sept ou cinquante-cinq… La divine Écriture affirme le contraire lorsqu’elle dit : Millia millium ministrabant ei, et decies centena millia assistebant ei ». Saint Thomas d’Aquin avait, lui aussi, noté[5] cette contradiction outre ce qu’Aristote a dit des substances séparées et ce que I Ecriture dit des anges ; niais, ici encore, il s’était elforcé d’innocenter le Philosophe ; « Aristote dit, en effet, au

1. Moïse Maïmonide, Le guide des égarés, Deuxième partie, Ch* XV ; trad. S, Munie, t. II, pp. 121-126.

2. B. Alberti Magni Physicorum liôri oclo ; Lib. VIII, tract. I, cap. XIV, circa finein.

3. Sancti Thomæ Aquinatis Surn/na theologica, Pars prima, quæst. XLV1, art. 1.

4. JfeZapAgsîca Fratbis Rogerï, Orr/fnis Frufru/n A/inoru/n, De ificiis contractis in studio Théologie, Fragmenta quæ supersunt nunc primum edidit Robert Steele, Oxonii, s. d*, pp. 10-12.

5. Sancti Thomæ Aquinaus Z/ieo/ogiea, Pars prima, quæst. L, art. III.

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