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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/182

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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

corps de Jésus-Christ, cette forme d’organisation a pu, jusqu’à l’instant de la résurrection, demeurer unie à la matière en l’absence de l’âme.

Entre ces deux théories, l’analogie est très étroite ; elle marque l’unitc qui coordonne toute la philosophie d’Henri de Gand. Nous nous sommes quelque peu attardé à exposer les thèses essentielles de cette philosophie ; il nous a paru qu’elles le méritaient à divers égards.

L’allure capricieuse des disputes quodïibétiques sépare les unes des autres des questions dont les sujets sont très voisins ; à plusieurs reprises, que séparent de longs intervalles, elle contraint le Maître de reprendre une même discussion ; elle dissimule donc de la manière la plus malencontreuse l’ordre et l’harmonie d’une théorie. Si l’on prend soin, toutefois, de rassembler les fragments épars de la doctrine d’Henri de Gand, de rapprocher les uns des autres ceux d’entre eux que leur nature apparente, on ne tarde pas à reconnaître que la pensée de ce théologien était singulièrement unie et puissante.

Le système dont cette restauration rétablit le plan et les lignes principales est en grande partie construit avec les matériaux taillés par Aristote, par Avicenne et par Averroès ; mais il offre un contraste saisissant avec les systèmes du Péripatétisme et du Néoplatonisme arabe. On dirait d’une cathédrale chrétienne qui aurait été bâtie avec des débris de temples et de mosquées.

En reprenant l’identité, affirmée par le Péripatétisme, de l’éternel et du nécessaire, Henri ruine par la base toute la Métaphysique d’Avicenne et d’Al-Gazâli. En affirmant que la matière première est, par elle-même, quelque chose d’actuel, qu’elle pourrait subsister en l’absence de toute forme, il brise le fondement même de la Métaphysique d’Aristote et d’Averroès. Au déterminisme nécessaire et rigoureux qui est comme le fonds commun de ccs deux Métaphysiques, il oppose cette triple affirmation : Dieu est libre, les intelligences immatérielles sont libres, l’homme est libre. Sans doute, d’Avicenne et d’Al-Gazâli, comme d’Aristote et d’Averroès, Henri pourra recevoir une foule de propositions isolées, de thèses de détail ; mais ce sera, nous n’en pouvons douter, pour les incorporer, suivant un autre plan, dans une construction toute nouvelle.

Cette construction ressemble-t-elle par quelque endroit à celle que, tout récemment, Thomas d’Aquin avait élevée ?

En dépit de son ferme dessein de bâtir un monument qui fût purement chrétien, Thomas d’Aquin n’avait su s’affranchir abso-