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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/196

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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

« Participer peut se comprendre dans le sens de prendre sa part. Toute créature participe ainsi de son existence, car elle prend, pour ainsi dire, sa part de cette existence pure et souveraine qui est en Dieu ; dans une créature, en effet, il y a une existence bornée, limitée, et comme réservée en une certaine part, tandis que, dans la Cause première, l’existence réside en sa totalité, simple de toute manière, embrassant toute la divine ampleur. Mais il n’en résulte pas que l’essence d’une créature diffère de l’existence de cette même créature ; bien au contraire ; en effet, si l’existence se condense ainsi en une certaine part, il faut que ce soit par quelque chose qui lui est essentiel ; et l’on ne trouve rien de tel, si ce n’est l’essence même de la créature ; c’est en cette essence et par cette essence que l’existence reçoit sa contraction et sa délimitation essentielles. »

Mais peut-on comprendre que l’existence reçoive, dans l’essence et par l’essence, telles bornes et telles limites, qui circonscrivent la part d’existence attribuée à toute créature, si cette essence ne diffère pas, au moins de quelque façon, de l’existence ? Si, comme le veut Thierry, on tenait les deux mots essence, existence pour absolument synonymes, on aurait le droit, dans le discours que nous venons d’entendre, de substituer partout le mot existence au mot essence ; mais alors ce discours perdrait tout sens.

En dépit donc qu’il en ait, Thierry en vient à supposer que les deux termes existence, essence, n’ont pas absolument même signification ; que l’essence diffère de l’existence en quelque manière ; mais, dès lors, la doctrine qu’il vient d’exposer ressemble singulièrement à celle d’Henri de Gand.

Il n’est pas possible de suivre jusqu’en scs ultimes conséquences la doctrine du Livre des Causes. De l’Être suprême, l’existence découle en un épanchement parfaitement homogène ; dans ce flux où la Source parfaitement une qui l’a produit n’a mis aucune différence, il faut bien, cependant, qu’un morcellement, qu’un découpage soit pratiqué, qui assigne à chaque créature sa part d’existence, son existence propre ; et comme ce morcellement ne peut provenir de l’existence elle-même, qui est absolument une et indifférenciée, il faut bien qu’elle trouve ailleurs sa raison d’être.

Ce qui assigne ainsi à chaque créature sa part d’existence, les métaphysiciens en viennent tous à la nommer essence ; seulement, ils diffèrent lorsqu’il s’agit de concevoir comment, par les essences diverses des créatures, l’existence uniforme se trouve morcelée et répartie entre ces créatures.

Les uns imaginent l’essence comme une sorte de sujet, de récep-