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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/296

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D’HENRI DE GAND À DUNS SCOT

avant donc que le temps commençât, il faudrait qu’un autre temps se fût écoulé. À cet argument, Gilles répond comme l’avait fait Al-Gazâli : « Si ce raisonnement était bon, il démontrerait que le Monde ou univers est infini en étendue… Mais ce raisonnement est sophistique. Lorsqu’on dit : hors de l’univers, il n’y a rien, le mot hors ne désigne pas une différence de lieu proprement dite, mais seulement une différence de lieu que l’on imagine… Mais cette imagination n’a aucun fondement en la réalité. Lasolution que le Philosophe a donnée touchant l’infinitude du Monde en grandeur, nous pouvons la reprendre au sujet de l’infinitude en durée… Scion l’imagination, il est vrai que le temps a toujours existé et qu’il existera toujours ; mais en vérité, le temps, qui est une certaine propriété du mouvement, n’a pas toujours été et il ne durera pas sans fin. »

En ses questions sur le premier livre De la génération, Gilles revient au problème de l’éternité du monde 1 et, en particulier, à ce principe que déjà nous lui avons entendit formuler : La première Cause peut agir sans que son action présuppose quoi que ce soit. C’est ce principe, en effet, qui permet de concevoir une création sans matière première préexistante. Voici, à cette occasion, quelles considérations développe notre auteur :

« Comment l’action de la Cause première peut s’exercer séparément de l’action des causes secondes, ce n’est pas ici le lieu de le dire ; c’est de Physique, en effet, que nous parlons, et les vérités de ce genre ne nous sont pas révélées par le sens non plus que par les choses sensibles dont le physicien, d’autre part, ne fait pas abstraction.

» Le Philosophe n’a donc pas péché lorsqu’il n’a pas supposé que quelque chose pût être produit de rien, lorsqu’il n’a pas supposé, non plus, qu’une chose nouvelle pouvait être produite par la Cause première sans intervention des causes secondes : il était tenu, qui plus est, de ne pas faire ces suppositions, car elles excèdent, les principes de la Philosophie naturelle. En cette Philosophie, le mouvement et le changement sont pris comme objet premier ; le physicien ne doit donc pas supposer que des choses sont amenées à l’existence sans changement ni mouvement.

» Mais si le Philosophe n’a point péché lorsqu’il s’est abstenu de supposer ces propositions, il a péché lorsqu’il les a niées. S’il

1. Ægidij Romani Quæstiones super primo de générations. Prima quæst. XIU JPar erreur, deux questions successives sont numérotées XIII) ; éd. cit., bl. 07, col. d,