Aller au contenu

Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/389

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
379
DUNS SCOT ET LE SCOTISME

« Par l’effet de sa blancheur, une pierre blanche répugne formellement à être noire ; mais si par l’intelligence, on sépare la blancheur de la pierre, qui en est le sujet générique, la noirceur ne répugne plus à la pierre en général. De même, le composé formé par la nature et par la différence individuelle répugne formellement à la division ; mais si l’on en sépare la différence individuelle, la nature spécifique n’a plus, à l’égard de la division, la répugnance quelle tenait de cette différence ; elle est alors commune, comme il a été dit, car elle a le pouvoir logique d’exister en plusieurs individus… Si nous parlons au point de vue delà réalité, l’humanité qui est en Socrate n est pas la même que l’humanité qui est en Platon ; entre ces deux humanités, il y a une différence réelle, provenant des différences individuelles qui sont contenues d’une manière unitive en l’humanité, et qui, de part et d’autres, en sont inséparables. Mais si, de part et d’autre, nous détachons cette différence individuelle, nous concevons la nature humaine’, non plus comme douée de cette unité la plus élevée, mais seulement comme douée de cette unité moindre qu’est la communauté ; l’humanité de Socrate n’est alors distincte de l’humanité de Platon ni par division numérique, ni par aucune autre division non spécifique. »

Ce que nous venons d’entendre du composé spécifique, de la quiddité, Duns Scot est prêt à le répéter de la forme commune, de la matière commune ; la forme commune, la matière commune n’existent pas en acte hors de l’esprit, qui les conçoit par abstraction ; dans la réalité, dans les choses, il n’y a que des matières individuelles, que des formes individuelles.

Volontiers, donc, Duns Scot emprunterait à Bacon les tableaux dichotomiques par lesquels celui-ci, s’inspirant d’Avicébron, classait, d’une part, les formes universelles, les matières universelles, les composés universels, puis, d’autre part, les formes individuelles, les matières individuelles, les composés individuels ; mais, pour lui, ces trois derniers tableaux ordonneraient seuls des choses totales ou partielles ; les trois premiers n’ordonneraient que des réalités, que des formalités, c’est-à-dire des notions abstraites que la pensée a formées en retranchant aux choses la formalité, la réalité ultime qui leur conférait l’unité individuelle.

On voit alors comment tout le plan réaliste qu Avicébron a cru reconnaître en la nature des choses se trouve réduit à un plan purement idéal.

« À parler au point de vue de la réalité, et selon ce qui existe,