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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/46

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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

nom de premier Moteur ; il dit que c’est la Cause première, que c’est Dieu, lorsqu’il écrit, au second livre Du Ciel et du Monde ; « La cause première est celle qui met en mouvement le premier causé. » Il n’est pas vrai, connue certains le prétendent, qu’il parle de la cause qui tient le premier rang dans le genre des causes naturelles, de celles qui sont, en force, proportionnées à leurs mobiles, et non de la cause absolument première. En effet tout ce que le même Philosophe, au huitième livre de la Physique et au onzième de la Métaphysique attribue au premier Moteur ne peut convenir à aucun être si ce n’est à la Cause qui est purement et simplement la première. Les raisonnements qu’il expose au onzième livre de la Métaphysique ne concluraient rien de semblable à ce qu’il en déduit si l’on n’admettait que le premier Moteur est tout simplement la première substance ; alors seulement il faut que ce premier Moteur soit le premier acte, sinon, il ne serait pas la substance première, mais il aurait avant lui quelque chose qui le tirerait de la puissance vers l’acte. En outre, il faut qu’il soit la seule chose dont l’existence est nécessaire, car il ne dépend d’aucune cause. Partant, il est absolument immatériel, et par là même, il est partout et toujours, car être en tel temps et en tel lieu est conséquence de la matière. Le Philosophe établit, au sujet du premier Moteur, plusieurs propositions semblables qui, nous l’avons précédemment prouvé, conviennent seulement à la Cause première.

» Or cela, [que le premier Moteur soit Dieu], la piété de la foi le rejette. Aristote dit en elfet, au huitième livre de la Physique, que ce moteur avec son mobile constitue un premier être qui se meut lui-même et qui est le premier ciel ; ce premier être serait donc le dieu auquel est due l’adoration (latria) ; or adorer le ciel, c’est proprement une idolâtrie.

» Et cependant, fort du raisonnement précédent, le Philosophe écrit, au XIe livre de la Métaphysique : Nous disons que Dieu est un être animé éternel et très noble. Il écrit, au premier livre Du Ciel et du Monde : Tous les philosophes ont admis que le ciel était le lieu de Dieu.

» Or, de ce qui vient d’être dit, il résulte avec évidence qu’une fois niée cette supposition, dont Aristote n’a jamais donné la preuve, ses raisonnements ne valent, plus rien. Aussi lorsqu’Averrocs, en son commentaire au premier livre De la génération et de la corruption, dit d’Aristote qu’il n’a jamais rien énoncé sans preuve solide, je pense qu’il ne le dit pas à titre d’affirmation catégorique, mais simplement pour montrer ce que l’on peut, par