Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/500

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
490
LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

« Vous me direz peut-être : On ne voit pas comment une telle puissance peut être opposée à l’acte, puisqu’elle désigne quelque chose de positif. — Je vous réponds :

» Lorsque je dis : puissance objective, j’énonce deux choses et j’en sous-entends (connoto) une troisième. Les deux choses que j’énonce, c’est l’objet [qui est en puissance] et la puissance ; celle que je sous-entends, c’est la privation d’existence. Par exemple, si je dis que la rose est en puissance objective, par l’objet j’entends l’essence (quidditas) de la rose ; par la puissance qui a cette essence pour fondement, j’entends un certain rapport de puissance qui a pour terme 1 existence actuelle de la rose : et je sous-entends que la rose est privée de cette existence.

» Et maintenant on peut dire qu’eu raison de cette privation annexée et sous-entendue, la puissance est opposée à l acté ; lorsque survient l’acte qui consiste à exister, cette privation, annexée au rapport qu’est la puissance, est supprimée. On dit donc bien qu’en raison de la privation qui lui est annexée, la puissance est détruite lorsque l’acte survient. »

La simple possibilité d’être, opposée à l’existence actuelle, voilà donc ce que notre auteur nomme la puissance objective ou encore l’existence essentielle (esse quidditativum).

Or ces possibilités peuvent être plus ou moins déterminées, plus ou moins contractées, selon le langage de notre auteur ; la possibilité d’être Socrate est plus déterminée que la possibilité d’être un homme ; celle-ci est plus étroitement contractée que la possibilité d’être un être animé quelconque.

Parmi toutes ces possibilités, il en est une qui surpasse toutes les autres en indétermination, dont toutes les autres se tirent par spécialisation et contraction ; c’est la possibilité d’être un être, d’être n’importe quel être ; c’est là ce que Bonet nomme la quiddité de l’être.

La quiddité de l’être est donc, en l’ordre de la puissance objective, ce qu’il y a de plus général et de plus indéterminé, — comme la matière première est, en l’ordre de la puissance subjective, ce qu’il y a de plus vague et de moins déterminé.

Parvenu à cette conclusion, voici que nous reconnaissons de nouveau l’extrême analogie entre la pensée de notre auteur et la pensée d’Avicébron.

Nous avions déjà remarqué que les diversesquiddités distinguées par Bonet correspondaient très exactement aux diverses formes superposées par le rabbin de Malaga. Or celui-ci professait que chaque forme joue le rôle d’une matière à l’égard de la forme supé-