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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/560

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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

l’individuation comporte encore deux solutions distinctes. Pour Jean de Jandun, en effet, et dans ce sens particulier, il y a non pas un, mais deux principes d’individuation, car l’individuation admet deux causes, l une matérielle et l’autre formelle.

Le principe matériel de l’individuation, c’est celui qui reçoit l’individuation (principvum individuatum), c’est celui grâce auquel la nature spécifique se trouve contractée en sujets individuels, grâce auquel ces sujets diffèrent les uns des autres. Ce principe matériel d’individuation est donc identique au support premier de toute division et de toute indivision, à la quantité divisible en parties indivises situées les unes hors les autres.

Mais en sus de ce principe matériel, il y a lieu de considérer un principe formel, uue cause formelle de l’existence individuelle ; « c’est par cette cause que l’on nomme individu un certain accident surajouté à la nature spécifique de l’individu ». « Cette cause formelle de l’individu, c’est ce par quoi une chose a, par elle-même, une existence indivise… Or l’individualité (individuatio) est ce quelque chose par laquelle un être possède une existence formellement indivise, comme la blancheur est ce par quoi un objet est formellement blanc. L’individualité est donc la cause formelle de l’existence individuelle ; tous en conviennent, et cela ne fait point question. »

La pensée de Jean de Jandun est, ici, bien voisine de celle de Roger Bacon, de Pierre Auriol et de Guillaume d’Ockam. Pour l’exprimer, il lui arrive d’emprunter à Duns Scot et aux Scotistes le terme d’hœccéitc qu’il substitue au terme d’individualité.

Les distinctions établies en la question de l’individuation permettent donc d’accorder Péripatéticiens et Scotistes, « d’amener à la concorde les opinions des anciens et celles des modernes :…

» Ceux donc qui parlent du principe subjectif d’individuation disent vrai en affirmant que ce principe, c’est la quantité, car la quantité est le sujet premier de la division et de l’indivision, Ceux qui parlent du principe formel disent également vrai en admettant que l’hœccéité est le principe premier de l’individuation ; en effet, le support premier de l’hœccéité,… c’est la quantité ; c’est la quantité qui, la première, reçoit l’individualité (primmn individuatum), et c’est par l’intermédiaire de la quantité que toutes les autres choses ia reçoivent à leur tour. »

Mais Jean de Jandun comprend que cette solution du problème de l’individuation est incomplète, que la question a été prise comme du dehors, et qu’il la faut considérer plus au fond. Sans doute, si l’individu est un individu, c’est parce que la quantité