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L’ÉCLECTISME PARISIEN

n’étaient pas visés par leur esprit. Et dans ce groupe d’Occamistes se trouvent les hommes les plus célèbres du parti. »

Les maîtres qui enseignaient, au milieu du xive siècle, a la Faculté des Arts de Paris étaient ceux-là mêmes qui avaient rendu les décrets de 1339 et de 1340, ou bien ils en étaient les disciples immédiats ; ils étaient donc fort bien qualifiés pour interpréter ces deux statuts et pour en suivre les intentions. Dans la doctrine de Guillaume d’Ockam, comme dans toute doctrine humaine, ils savaient qu’il y a deux parts, celle de la vérité et celle de l’erreur ; ils comprenaient que la Faculté s’était proposée de distinguer nettement ces deux parts ; guidés par elle, ils se gardaient soigneusement des procédés de discussion qui leur avaient été signalés comme une sophistique pernicieuse ; en revanche, de l’Occamisme, ils conservaient et développaient avec faveur toute règle propre à rendre l’esprit juste et clairvoyant.

Pour faire exactement ce départ, ils étaient aidés par le bon sens, qui était vraiment leur faculté maîtresse ; ce bon sens, il est permis de l’appeler français ; la lutte, en effet, dont les édits de 1339 et de 1340 sont deux épisodes importants, est une lutte entre l’esprit de Paris et de l’esprit d’Oxford ; les excès dont ils voulaient préserver les régents de la rue du Fouarre sévissaient, nous le verrons, dans la grande Université britannique ; ils étaient, à Paris, articles d’importation, et tout le monde le savait.

Le 24 janvier 1345[1] Richard de Bury mettait la dernière main à son Philobiblion ; or, dans cet ouvrage, il dit[2] des maîtres parisiens « qu’ils consacrent leurs veilles furtives à étudier les subtilités anglaises (anglicanas subtititates) ». Et Clément VI, qui était Limousin et s’était appelé Pierre Roger, reproche tout particulièrement aux maîtres et aux écoliers de Paris de « se tourner vers des doctrines sophistiques étrangères, qui sont enseignées, dit-on, dans d’autres Universités ». Il leur fait honte de cette adhésion à des opinions « étrangères » qui, du degré suréminent qu’elle occupait, ravale leur Université au rang des esclaves.

À cette invite du Pape, les maîtres parisiens ne demeurèrent pas sourds ; avec beaucoup de clairvoyance et de prudence, ils surent, au cours du xive siècle, discerner et fuir le poison qui

  1. L’ouvrage est daté du 24 janvier 1344, paru alors que l’année commençait à Pâques.
  2. The Philobiblion of Richard de Bury, éd. C. Thomas, London, 1888, cap. IX, p. 150. — Cité par le Chartularium Universitatis Parisiensis, pièce no 1125, t. II, p. 590, note 4.