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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/734

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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

l’enseignement de l’Église, lorsqu’il s’agit de résoudre les plus redoutables énigmes de la Philosophie. Ecoutons, par exemple, la conclusion par laquelle le philosophe de Béthune clôt la discussion où il s’est efforcé de distinguer la volonté libre de l’homme de l’instinct déterminé qui meut l’animal[1] : « C’est, me semble-t-il, à la foi qu’il faut se lier, plutôt qu’à la raison naturelle, au sujet de la liberté et de l’absence de liberté qui distinguent notre volonté de l’appétit sensitif du chien ; peut-être, en effet, ne serait-il pas possible de démontrer bien aisément que notre volonté est absolument indifférente et qu elle peut, sans autre motif, se déterminer à ceci ou à cela, plutôt que l’appétit du chien. »

Toutes les fois qu’un conflit éclate entre les doctrines de la Philosophie et l’enseignement de l’Église, Buridan admet sans hésiter la vérité des propositions que l’Église formule ; mais il a bien soin de déclarer qu’il les accepte en vertu d’un acte de foi, sans en réclamer une démonstration qu’il est incapable de construire. Sa manière d’agir est-elle entachée de cet illogisme que Raymond Lull reprochait aux Averroïstes chrétiens ? Nullement. Les principes de Philosophie ne sont pas, à son gré, des propositions universelles et nécessaires qui ne sauraient, en aucun cas, être niées sans absurdité ; établis par induction, ils ne font que résumer l’expérience constante du genre humain ; ils sont sans force pour résoudre des questions qui passent cette expérience.

Cette pensée est celle-là même que Jean de Jandun se plaisait à affirmer ; pour la formuler, Buridan reprend parfois des termes presque identiques à ceux dont son prédécesseur avait usé.

Rencontre-t-il, par exemple, cette affirmation d’Aristote que le mouvement n’a pu avoir de commencement ? « Bien qu’Aristote l’ait enseigné, nous devons, dit-il[2], tenir le parti contraire, mais par la foi pure, cl non en vertu de quelque démonstration qui aurait les sens pour origine et qui en tirerait son évidence. »

Se heurte-t-il à celte affirmation d’Averroès : Le premier Moteur est infini en durée, mais non pas en force ? « Je crois bien, écrit-il[3], qu’Aristote eût dit, comme le Commentateur : Il n’y a aucune puissance qui soit de force infinie. Car il ne se manifeste à nous aucun effet par lequel nous puissions, à l’aide d’une

1. Joannis Buridani Op. laud., Lib. IX, quæst. IV ; fol. LVIII, col. b.

2. Johannis Büridani Quæstiones in libros Physicorum, lib. VIII, quæst. III ; fol. CXI, col. d.

3. Johaknib Büridani Op. laud., lib. VIII, quæst. XI ; fol. CX1X, col. d.

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