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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/94

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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

En la Collatio in Hexaëmeron que nous analysons, Saint Bonaventure ne définit pas la raison séminale mais, ce qui nous la fait peut-être mieux connaître, il en décrit le rôle. « Voici, dit-il, en quoi consiste la force de cette puissance qu’est la raison séminale.

» En certains cas, cette puissance ajoute à l’existence actuelle une certaine partie d’essence ou d’existence ; ainsi à la raison qui constitue l’existence corporelle, elle ajoute en la réalité le caractère vital (animatum) ; la vie (animatio) est, en effet, quelque chose [de réel], mais quelque chose qui est subordonné à la sensibilité ; à la vie, elle surajoute le sensible, et ainsi de suite jusqu’au caractère d’homme. »

Les raisons séminales de Bonaventure, ce sont donc, ici, ces formes superposées, de plus en plus déterminées, dont la forme spécifique est le couronnement, qu’Avicébron mettait en toute chose. Chacune de ces formes est comme en puissance de la forme plus élevée ; par la détermination large qu’elle confère à la matière, elle prépare cette matière à recevoir la détermination plus étroite que cette matière recevra de la forme suivante ; elle est donc, pour cette matière, comme une tendance à recevoir une forme supérieure.

Bonaventure oppose cette thèse à la thèse averroïste et thomiste qui, en chaque substance, unit à la matière une forme substantielle unique. Cette dernière thèse, il la qualifie avec dureté : « Il est insensé (insanum) de dire que la forme ultime se conjoint à la matière première sans qu’il y ait au sein de la matière première, au moins en puissance, quelque disposition à recevoir cette forme, sans qu’il y ait, [entre la matière première et la forme ultime,] aucune forme interposée. »

Le rôle que nous venons de décrire n’est pas tout le rôle de la raison séminale « Parfois, aussi, elle ajoute simplement la manière d’être ; ainsi en est-il lorsque, d’une chose qui est une en puissance, elle fait une chose qui est une en acte. Car l’unité ne se conjoint pas simplement à la matière ; elle se conjoint à la matière qui, en sa puissance radicale, possède déjà la vie ».

Ce langage, semble-t-il, se peut interpréter ainsi : Lorsque la matière a reçu successivement ces diverses raisons séminales qui sont des formes superposées et dont la dernière est la forme spécifique, l’ensemble ne constitue pas encore un individu ; il n’est, à vrai dire, qu’un individu en puissance ; une nouvelle raison séminale survient alors qui confère à cet ensemble, à ce composé, l’individualité actuelle ; le principe de l’individuation apparaît donc à Saint Bonaventure comme quelque chose qui se surajoute