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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VI.djvu/98

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LE REFLUX DE L’ARISTOTÉLISME

dès lors, représente les choses telles qu’elles sont produites à l’existence.

» En ma connaissance prévoyante peuvent résider un grand nombre de choses futures, et une de ces choses futures peut s’y trouver plus éloignée que l’autre ; il n’en résulte pas qu’il y ait changement en ma connaissance lorsque ces choses adviennent. De même, le Verbe n’éprouve aucun changement ; lorsqu’il crée telle âme, il ne change pas, car il a décidé de toute éternité que telle âme serait créée à tel moment ; il crée donc en cet instant-ci par la parole même qu’il a énoncée de toute éternité. De même, si mon pouvoir était identique à ma volonté, et si je voulais maintenant que telle chose fût faite demain, il ne se produirait pas de changement en moi au moment où cette chose se ferait, tandis qu’il s’en produirait un si, après ne l’avoir pas voulue, je me mettais à la vouloir. »

De l’erreur, soutenue par Aristote, que le Monde est éternel, nait, à son tour, une nouvelle erreur, « celle de l’unité de l’intelligence[1]. Si l’on admet, en effet, que le Monde est éternel, il faut nécessairement admettre une de ces conséquences : Ou bien les âmes sont en nombre infini, puisqu’il y a eu une infinité d’hommes ; ou bien l’âme est mortelle ; ou bien une même âme passe de corps en corps ; ou bien l’intelligence est unique en tous les hommes. Selon le Commentateur, cette erreur doit être attribuée à Aristote…

» Ces gens-là sont donc tombés en l’erreur ; ils n ont pas été séparés des ténèbres. Et les clés qui ferment le puits profond comme l’abîme n’ont pas encore été tournées. Ce sont vraiment là les ténèbres d’Égypte ; lors même que les sciences précédentes y feraient briller une grande lumière, celle-ci serait complètement éteinte par ces erreurs. Ceux qui sont venus après eux, voyant qu’Aristote avait été si grand dans les autres sciences, qu’il y avait si bien proclamé la vérité, ne peuvent croire que cc qu’il a dit en ces questions-ci ne soit pas vrai. »

Par la bouche de Saint Bonaventure, l’ancienne Scolastique latine, celle qui s’inspire de Saint Augustin et de Jean Scot Erigène, proteste contre ce respect superstitieux de la Métaphysique péripatéticienne.

Disciple et grand admirateur de Robert Grosse-Teste, Roger Bacon ne partage même pas la superstition de son temps à l’égard de la science d’Aristote.

  1. Sancti Bonaventuræ Op. laud., Collatio VI, 4 et 5 ; éd. cit., t. V, p. 361.