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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/264

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LE LIEU

elle-même, sans qu’il soit besoin de la considérer par rapport à un autre corps, soit contenant, soit contenu ; c’est une forme purement absolue. Cherche une réponse. »

La question posée par le Docteur Subtil semblait perdre son caractère énigmatique grâce à la théorie de Guillaume d’Ockam, théorie que Burley a adoptée. Et cependant, bien loin de voir en cette doctrine la solution de l’énigme, Burley paraît singulièrement intrigué par celle-ci :

« Dieu, dit-il[1], a créé un Monde discontinu, formé de parties distinctes ; c’est en vertu de cette discontinuité que chacune des parties du Monde se trouve de soi en un lieu ; mais Dieu aurait pu, tout aussi bien, créer un Monde continu en toutes ses parties ; il aurait pu ne créer qu’une sphère absolument homogène. Imaginons donc qu’au moment de la création, Dieu, au lieu de créer cet Univers-ci, ait créé une sphère absolument homogène. Tout corps est en un lieu ; ce corps sphérique serait donc en un lieu. Il ne serait pas en un lieu par ses parties ; aucune de ses parties ne serait logée, car le lieu est un contenant séparé du contenu, et, dans ce corps continu, il n’y aurait pas de séparation. Il faudrait donc que ce corps fût dans le vide. Ceux qui croient à la création du Monde sont donc tenus d’admettre le vide.

« On peut répondre à cela de la manière suivante : Ceux qui parlent au nom de la foi soutiennent que Dieu aurait pu créer un tel corps sphérique parfaitement continu occupant tout l’espace qu’occupe notre Univers. Parlant ensuite en physiciens, ils sont tenus de reconnaître qu’un tel corps ne peut être logé ni par parties, ni par la région terminale d’un corps contenant, puisqu’aucun corps n’existerait en dehors de lui ; ils en concluraient simplement qu’il n’est pas nécessaire qu’un corps soit en un lieu.

« Mais dira-t-on que Dieu pourrait mouvoir un tel Monde, soit d’un mouvement de rotation, soit d’un mouvement de translation, en le transportant à une autre place ? Tout mouvement local requiert un lien… Si donc on imaginait qu’il existât un tel corps continu et qu’il n’existât rien hors de ce corps, Dieu ne pourrait lui donner un mouvement de translation à moins de créer en même temps un lieu vers lequel il le mouvrait ; Dieu ne pourrait mouvoir ce corps d’un mouvement de rotation, ou bien il faudrait admettre que le mouvement de rotation qu’il lui imprimerait n’eût pas un mouvement local, mais un mouvement relatif à la situation. »

  1. Walter Burley, loc. cit., fol. 78, col. c.