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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/278

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LE LIEU

distance, en effet, peut être un corps pris en sa totalité ; l’extrémité du contenant, au contraire, est forcément une partie d’un corps ; ne semble-t-il pas plus raisonnable de regarder cette partie du corps comme la forme du lieu que d’attribuer ce rôle à un corps qui est pris en son intégrité et qui a son existence propre ?

Il n’est donc pas possible d’accepter l’interprétation que Gilles de Rome avait proposée afin de rendre véritable cette affirmation : Le lieu est immobile.

D’ailleurs, quelle avait été l’intention d’Aristote en introduisant cette épithète : immobile, en la définition du lieu ? Selon Buridan, le Stagirite n’avait d’autre objet que de distinguer entre le lieu et le vase. C’est, en effet, le même corps, le corps contenant, qui joue à la fois, par rapport au contenu, le rôle de lieu et celui de vase ; seulement on le nomme vase ou lieu selon le point de vue d’où on le considère. On le nomme vase lorsque le contenu est susceptible de couler ou de se répandre ; le vase alors met obstacle à cette diffusion ; le mouvement du vase permet seul de transporter le contenu d’un lieu dans un autre ; ce nom de vase est donc attribué au corps contenant en raison d’une certaine mobilité que l’on considère en ce corps. Au contraire, le nom de lieu est donné au contenant en raison d’une certaine immobilité dont ce corps se montre affecté lorsqu’on le compare au corps contenu ; le contenu, en effet, du moins dans certains cas, peut se mouvoir bien que le contenant demeure immobile.

Jean Buridan, par cette analyse, a-t-il saisi ce qu’il y a d’essentiel dans la pensée du Stagirite ? Nous ne le pensons pas. Mais, au lieu d’épiloguer longuement sur cette question, il vaut assurément mieux demander au Maître parisien qu’il nous expose sa propre théorie sur l’immobilité du lieu.

Le lieu proprement dit, celui auquel s’applique la définition d’Aristote, est un corps ; comme tel, il est mobile ; il l’est aussi bien que le corps logé ; le lieu peut se mouvoir alors que le corps logé demeure en repos ; « l’air qui environne les tours de Notre-Dame peut se mouvoir et changer alors que ces tours demeurent en place » ; dans certains cas, aussi, le corps logé peut se mouvoir sans que le lieu se déplace aucunement.

On ne saurait donc prétendre sans erreur que le lieu proprement dit soit immobile ; cette affirmation ne se peut produire qu’au sujet d’un lieu improprement dit.

On peut, en effet, employer le mot lieu en bien des sens differents, comme il arrive, d’ailleurs, pour la plupart des noms ; pour II