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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/373

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

si le premier Ciel cessait de tourner, la pierre s’arrêterait dans sa chute. D’autres péripatéticiens tenaient assurément le même langage et, sans doute, en tiraient prétexte pour nier le miracle de Josué.

Saint Augustin, au contraire, avait pris prétexte de ce miracle de Josué pour rejeter entièrement la théorie péripatéticienne du temps et pour nier que le temps existât hors de notre esprit[1].

Jean de Duns Scot avait lu les Confessions et cette lecture avait, sans aucun doute, grandement contribué à lui faire rejeter, au sujet du temps, l’opinion d’Aristote ; nous en trouvons la preuve dans une réfutation de cette opinion qu’on peut lire au IVe livre du Scriptum Oxoniense[2].

Voici ce que le Docteur Subtil répond à ceux qui font du temps une passion du premier mouvement :

« Le temps n’est pas dans le mouvement du Ciel à la façon dont une grandeur est dans une autre grandeur ; il ne faut pas, en effet, dans un même sujet permanent mettre deux grandeurs dont la première serait, pour ainsi dire, le sujet de la seconde, et la seconde, une passion de la première. Au mouvement donc, car le mouvement implique une succession qui lui est propre, le temps ajoute seulement, au point de vue formel, la raison (ratio) de mesure ; et, au point de vue du fondement, il ajoute ces raisons qui sont requises pour que la mesure se puisse effectuer, et qui sont l’uniformité ou régularité, et la vitesse ; le premier caractère, en effet, qui est l’uniformité ou régularité, rend la mesure très exacte ; le second caractère, qui est la vitesse, la rend la plus petite possible. » Dans l’état actuel des choses, ces caractères d’un bon étalon de mesure du temps se rencontrent dans le mouvement du Ciel. Si le Ciel venait à s’arrêter, « il n’y aurait plus, alors, de mouvement plus vite que tous les autres, ou, du moins, il n’y aurait plus de mouvement uniforme et régulier ; dans aucun mouvement, ce qui confère la raison de mesure à l’égard des autres mouvements ne trouvera plus son fondement ; le temps ne sera donc plus de cette manière, présentement admise, où il est une passion du premier mouvement. »

En faut-il conclure qu’il n’y aurait plus de temps d’aucune manière ? Et qu’il n’y aurait plus aucun mouvement, parce que le mouvement qui doit mesurer les autres aurait cessé d’exister ?

  1. Voir : Seconde Partie, ch. I, § XII ; t. II, pp. 471-477.
  2. Joannis Duns Scoti Scriptum Oxoniense, lib, IV, dist. XLVIII, quæst II : Ad quæstionem potest dici.