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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/380

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LE MOUVEMENT ET LE TEMPS

mobile, et que ce qui change en lui, ce sont seulement les états instantanés (mutata esse) de son écoulement,… de même, pendant toute la durée de son écoulement, cet instant présent (nunc) imaginé demeure le même dans l’esprit qui le conçoit ; il ne diffère qu’en ce qu’il est avant ou après le long de son propre écoulement. »

N’est-ce pas là une description très exacte de la façon dont nous concevons ou imaginons le temps ? N’est-il pas vrai que nous figurons le présent comme quelque chose d’indivisible qui accompagne un mobile mû d’un mouvement continu ?

Le Péripatétisme voit dans le temps un attribut du mouvement du premier mobile. De cette théorie, il n’a pas été question jusqu’ici. Pierre Auriol la rejetterait-il ? N’en doutons pas. Les raisons qu’il fait valoir pour la rejeter sont des raisons tirées des faits miraculeux que rapporte l’Écriture Sainte ; ce sont exactement celles que Saint Augustin invoquait[1] pour le meme objet. « En tant que quantité non mesurée, dit-il[2], le temps a pour support n’importe quel mouvement…

» Lors même que le mouvement du premier mobile n’existerait pas, l’esprit pourrait encore saisir le temps en quelque autre mouvement particulier, par exemple dans le mouvement de la roue d’un potier.

» En voici une confirmation : La bataille que dirigeait Josué se passait bien dans le temps, et ce temps-là, cependant, n’était pas le mouvement du premier mobile.

» Toutes les fois que l’esprit perçoit qu’il existe d’une existence changeante (apprehendit se in esse transmutato), il perçoit le temps. Le temps donc, considéré comme quantité continue et non déterminée par la mesure, a pour fondement n’importe quel mouvement ; quiconque, en effet, perçoit un mouvement, perçoit des parties successives ; en prenant les parties qui se succèdent en ce mouvement, il distingue celles qui viennent avant et celles qui viennent après ; or l’avant et l’après dans le mouvement, c’est le temps.

» Mais vous objecterez que le Commentateur semble dire le contraire. Le Commentateur dit, en effet, que l’âme, en percevant un mouvement quelconque, perçoit le temps, mais [qu’elle ne le saisit pas directement], qu’elle le saisit indirectement (per accidens), parce qu’elle saisit le mouvement du Ciel.

  1. Voir : Seconde partie, t. II, ch. I, § XII, p. 472.
  2. Petri Aureoli Quæst. cit., art. IV : Utrum tempus sit passio primi mobilis ; p. 41, col. a et b.