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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VII.djvu/467

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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

avoir retour à la même possession, à moins qu’on ne ramène le sujet jusqu’à la matière première, qui est le premier sujet de toute génération. Mais aucun agent naturel ne saurait réduire les formes des éléments ou les éléments eux-mêmes jusqu’à la matière première toute nue ; en effet, lorsqu’un élément est détruit, la réduction à la matière première est nécessairement accompagnée de la génération de quelque autre substance ; un agent naturel ne peut dont ramener une forme numériquement identique à une forme précédemment détruite.

» Ce raisonnement revient à celui-ci :

» D’une privation qui suppose la préexistence nécessaire de la possession, il n’y a point retour en arrière, à moins qu’il n’y ait réduction jusqu’à un sujet pour lequel la possession et la privation n’ont plus entre elles aucun ordre forcé.

» Mais il n’y a qu’un seul tel sujet ; c’est la matière première ; aucun agent naturel ne peut opérer de réduction jusqu’à cette matière première toute nue.

» Aucun agent naturel ne peut donc ramener une telle forme qui soit numériquement identique à la forme détruite…

» Par là[1] on peut répondre à cette raison fondamentale de la première opinion : Lorsque les mêmes causes reviennent, les mêmes effets reviennent également. Cette proposition est fausse, peut-on dire ; lors même que reviendraient toutes les causes d’un certain effet, cet effet ne se pourrait reproduire numériquement identique à ce qu’il a été, en vertu de l’ordre qui régit la génération et la corruption à la façon d’une possession et d’une privation. »

L’argumentation de François de la Marche n’est que la mise en forme d’une pensée que Duns Scot avait indiquée à plusieurs reprises. La thèse de ces deux Frères Mineurs se montre à nous toute revêtue de considérations péripatéticiennes sur la génération et la corruption, et ces considérations semblent singulièrement vieillies aux yeux de notre moderne Chimie. Si nous voulons bien, toutefois, écarter ce manteau usé pour saisir la chair vive de cette thèse, voici l’idée essentielle que nous trouvons : Il y a, dans les transformations effectuées par les agents naturels, un sens forcé ; aucune de ces transformations n’est immédiatement renversable : et ce caractère des changements naturels interdit au Monde de

  1. François du la Marche, loc. cit. ; ms. cit., fol. 164, col. c.