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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

pas davantage ; aux Communia naturalium, il formulera encore quelques propositions utiles à recueillir, mais il ne donnera plus, de son système, l’exposé dogmatique qu’il a présenté dans l’Opus tertium.

Nous retrouvons, aux Communia naturalium, l’expérience des deux disques adhérents[1], enfin débarrassée de la fausse expérience du verre renversé sur l’eau ; nous y retrouvons aussi[2] l’expérience que Philon de Byzance faisait avec un vase au fond criblé de petits trous.

C’est à propos de cette dernière expérience que sont émises les réflexions suivantes :

« Ce n’est pas d’elle-même que la nature particulière de l’eau demeure en l’air, mais par la force de la nature universelle qui, sans cesse, requiert et conserve la continuité des corps naturels, continuité que le vide dissout. On voit donc quelle est ici la cause efficiente : C’est la nature universelle à laquelle obéit la nature particulière. On voit aussi quelle est la cause finale : C’est la continuité naturelle des corps de ce Monde. Voilà l’affirmation dont résulte la négation du vide. Nous ne posons donc pas une négation comme cause d’une affirmation, mais au contraire… »

« Si l’on disait que l’eau ne descend pas afin que le vide ne se produise pas, ce ne serait pas une solution, car une négation ne peut être la cause d’une affirmation. Il faut dire que l’eau est retenue en l’air par la loi de la nature universelle, afin qu’il y ait continuité entre les corps de la nature ; de cette continuité, l’exclusion du vide découle à titre secondaire. C’est donc une affirmation, savoir la continuité, qui est cause d’une affirmation, savoir le repos de l’eau dans le vase. »

La doctrine dont nous avons suivi le développement au travers des écrits de Roger Bacon semble bien lui appartenir en propre. À peine, croyons-nous, en avait-il trouvé chez ses prédécesseurs un germe presque infime. Albert le Grand, répétant le propos de Philon de Byzance, s’était borné à dire, au sujet de l’immobilité de l’eau dans la clepsydre : « C’est parce que rien n’est vide. Il faut donc que les surfaces des corps soient conjointes les unes aux autres. Quia nihil est vacuum ; et ideo oportet superficies corporum esse conjunctas. »

  1. Opera hactenus inedita Rogeri Baconi. Fasc, III. Liber primas communium naturalium Fratris Rogeri. Pars III, dist. II, cap. VI ; éd. Steele, pp. 221-223.
  2. Roger Bacon, loc. cit., pp. 219-220 et p. 224.