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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

tomber par les trous qui sont au bas du vase. Mais qu’est-ce donc qui la retiendra ? On répondra que c’est la nature universelle, car cette nature ne permet point le vide qui se produirait nécessairement si l’eau tombait ; il y a moindre mal, en effet, à ce que l’eau soit ainsi retenue en haut qu’à la production du vide en ce lieu… »

Voici une autre expérience, dont Jean Buridan et Marsile d’Inghen se plairont à invoquer le témoignage :

« Supposons qu’en un vase très épais et très résistant, il y ait une seule ouverture ; qu’en cette ouverture, on introduise le bec d’un soufflet, et que ce soufflet n’ait aucun trou dans ses parois… Jamais aucune force ne pourrait soulever les parois du soufflet ni les séparer l’une de l’autre. Qu’est-ce qui l’empêcherait ? La nature universelle, en vue de la fuite du vide…

» Voilà ce qu’on peut dire au sujet de ces expériences, et je n’ai pas entendu de meilleures raisons.

» Mais quelle est cette nature universelle, qui produit ces empêchements ? Cela n’est pas absolument manifeste. »

En revanche, ce qui est absolument manifeste, c’est que Jean de Jandun emprunte aux Questions de Physique de Roger Bacon, et cela d’une façon presque textuelle, tout ce qu’il dit de cette nature universelle. Il ne paraît pas, d’ailleurs, qu’il ait connu l’Opus tertium ; il y eût trouvé des considérations propres à dissiper quelque peu le doute qui est demeuré dans son esprit.

Après Jean de Jandun, l’École de Paris ne nous présente plus, au xive siècle, de physicien qui ait très fidèlement suivi, au sujet du vide, l’opinion de Roger Bacon.

François de Meyronnes écrit[1] :

« Que faut-il penser de la traction du vide (tractus vacui), car le vide ne cause rien ?… Il ne semble pas qu’une intelligence produise cette traction. Je ne vois donc point de cause, à moins de recourir au premier Agent universel ; car on voit un corps de même nature se mouvoir tantôt vers le haut, tantôt vers le bas. »

Il semble par là que François de Meyronnes voit une action directe de Dieu en tout mouvement qui tend à éviter le vide ; à moins que par premier Agent, il n’entende le ciel ; sa pensée

  1. Francisci Mayronis Scriptum in secundum Sententiarum, dist. XIV, quæst. VI ; éd. Venetiis, 1520, p. 151, col. b.