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L’HORREUR DU VIDE

d’adjoindre une autre action, plus générale, qui a pour objet de maintenir la continuité du monde sublunaire ; cette action, dans chaque cas où une discontinuité, où un vide tendrait à se produire, met en jeu une force capable d’empêcher cette discontinuité, de prohiber ce vide ; c’est à cette force qu’on donne, assez improprement, le nom de traction exercée par le vide, tractus a vacuo.

Cette théorie, fort logiquement reliée aux principes généraux de la Physique péripatéticienne, la complétait d’heureuse manière ; elle permettait de rendre compte d’une foule d’expériences qui semblaient contredire aux lois du grave et du léger ; qu’elle ait été entièrement inspirée par la doctrine de Bacon, cela saute aux yeux.

Jean de Jandun n’est pas moins intéressé que Gilles de Rome par les expériences où l’on voit la nature fuir le vide ; mais il se montre moins affirmatif au sujet de l’explication qu’elles comportent.

« Certains disent, écrit Jean de Jandun que si deux corps absolument plans étaient appliqués l’un à l’autre sans quelque intermédiaire que ce soit, jamais ils ne pourraient être séparés simultanément en toutes leurs parties ; pour qu’ils pussent être disjoints, il faudrait que ce fût successivement, d’abord une partie, puis une autre ; et autant il y aurait d’espace entre ces parties, autant d’air entrerait ; l’air se glisserait ainsi successivement, au fur et à mesure que ces deux corps seraient disjoints. En effet, à cause de la fuite du vide, il serait impossible que toutes les parties se séparassent également et au même instant. Considérez bien cette question, car elle est assez belle. Peut-être, moyennant la supposition faite, ces deux corps ne pourraient-ils jamais être séparés l’un de l’autre ; mais peut-être aussi dirait-on que la supposition est impossible. »

Jean de Jandun rapporte une des expériences qui figuraient, nous a dit Marsile d’Inghen, au Tractatus de inani et vacuo :

« Qu’on fasse un vase gros et large par le bas, étroit par le haut ; qu’il ait une petite ouverture en la partie étroite et, en la partie large, plusieurs ouvertures ; si l’on plonge ce vase dans l’eau, il est manifeste que l’eau le remplira ; qu’on bouche alors, d’une manière très parfaite, l’ouverture supérieure et qu’on retire le vase de l’eau… Pour la cause susdite, l’eau ne pourra

1. Joannïs de Janduno Super octo libros Aristotelis de physico auditu quæstiones ; lib. rv, quæst. X : An vacuum esse sit necessarium.