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LA CHUTE ACCÉLÉRÉE DES GRAVES

Au cours d’une précédente question, Buridan avait déjà rencontré cette explication ; il l’avait rejetée de la manière suivante[1] :

« Prenez deux mouvements, l’un d’une pierre qui se trouve en bas, l’autre d’une pierre qui se trouve en haut, au faîte de Notre-Dame ; laissez tomber ces deux pierres ; l’expérience vous montrera que la pierre d’en bas n’aura pas une plus grande vitesse que la pierre d’en haut. D’ailleurs, elles sont aussi faciles à soulever l’une que l’autre. »

C’est cette argumentation que notre auteur reprend maintenant, avec plus de détails, contre l’opinion qu’il vient d’énoncer.

« I1 est manifeste, dit-il, que cette opinion est contraire à l’expérience. Vous soulèverez aussi facilement la même pierre soit qu’elle se trouve en un lieu bas, soit qu’elle se trouve en un lieu élevé, par exemple au sommet d’une tour ; cela ne serait pas si elle inclinait plus fortement vers le bas quand elle est en bas que lorsqu’elle est en haut.

» Cette inclination est plus grande en effet, répondra-t-on, mais l’accroissement n’en est pas assez grand pour être perçu par le sens.

» Cette réponse ne vaut pas. En effet, que cette pierre tombe du sommet de la tour jusqu’à terre ; près de la terre, le sens percevra fort bien une vitesse double ou triple et éprouvera une lésion double ou triple de la vitesse qu’il percevrait, de la lésion qu’il éprouverait en haut, près de l’origine du mouvement ; la cause de la vitesse doit donc être double ou triple ; partant, cette accroissement d’inclination que vous supposiez n’être ni notable ni sensible n’est pas la cause d’une si grande augmentation de vitesse.

» D’ailleurs, qu’une pierre commence à tomber à terre depuis un lieu élevé et qu’une autre pierre semblable commence à tomber à terre à partir d’un lieu bas ; lorsque ces deux pierres se trouvent à un pied au-dessus du sol, elles devraient se mouvoir avec la même vitesse, et point l’une plus vite que l’autre, si la plus grande vitesse provenait uniquement de la proximité au lieu naturel ; ces deux pierres, en effet, seraient alors également proches de leur lieu naturel ; cependant, il est manifeste au sens que celle qui tombe de haut se meut plus vite que celle qui

  1. Joannis Buridani Op. laud., lib. I, quæst. XVII : Utrum si essent plures mundi, terra unius moverctur naturaliter ad teram alternius ; ms. cit., fol. 78, col. b.