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LE VIDE ET LE MOUVEMENT DANS LE VIDE

Une des premières questions[1] examinées par Michel Scot est celle-ci : Existe-t-il un seul monde ou plusieurs mondes ?

Pour prouver l’impossibilité de plusieurs mondes, le célèbre astrologue reproduit sommairement le raisonnement d’Aristote ; mais il le fait précéder de celui-ci :

« Entre les surfaces convexes des sphères qui limitent les divers mondes, il existerait nécessairement un certain espace. Dès lors, ou bien il existerait un corps occupant cet espace, ou bien non. Mais il ne peut exister de corps qui remplisse ce lieu ; ce corps, en effet, serait étranger à tout monde, puisqu’il serait en dehors des sphères qui bornent tous les mondes. S’il n’existe aucun corps qui remplisse cet espace, cet espace est donc vide ; or il ne peut y avoir de vide dans la nature, comme Aristote l’a démontré au quatrième livre des Physiques ; il ne peut donc y avoir plusieurs mondes. »

Cette démonstration n’a pas été donnée par Aristote ; est-elle bien dans l’esprit péripatéticien ? À la fin des Chapitres du Περὶ Οὐρανοῦ où la pluralité des mondes se trouve réfutée, le Stagirite avait écrit[2] :

« Il est évident que, hors du ciel, il n’y a ni lieu ni vide ni temps. En tout lieu, en effet, un corps peut exister ; ce qu’on appelle vide, c’est ce en quoi il n’y a pas de corps, mais où un corps pourrait être produit… Or on a démontré qu’à l’extérieur du ciel, il n’existait aucun corps, et qu’aucun corps ne pouvait y être produit. — Ἅμα δὲ δῆλον ὅτι οὐδὲ τόπος οὐδὲ κενὸν οὐδὲ χρόνος ἐστὶν ἔξω τοῦ οὐρανοῦ· ἐν ἅπαντι γὰρ τόπῳ δυνατὸν ὑπάρξαι σῶμα· κενὸν δ’ εἶναί φασιν ἐν ᾧ μὴ ἐνυπάρχει σῶμα, δυνατὸν δ’ ἐστὶ γενέσθαι… Ἔξω δὲ τοῦ οὐρανοῦ δέδεικται ὅτι οὔτ’ ἔστιν οὔτ’ ἐνδέχεται γενέσθαι σῶμα. »

Si Aristote avait admis l’existence simultanée de plusieurs mondes, mais s’il avait affirmé, en outre qu’aucun corps n’existe ni ne peut exister qui n’appartienne à l’un de ces mondes, il n’aurait rien eu, semble-t-il, à changer aux phrases que nous venons de citer ; il eût pu continuer de déclarer qu’en dehors de ces mondes, il n’y avait ni lien ni vide ; l’argument formulé par l’astrologue de Frédéric II ne devrait donc pas être

1. Eximii atque excellentissimi physicorum motuum cursusque siderel indagatoris Michaelis Scoti super Auctore Spheræ, cum quæstionibus diligenter emendatis, expositio confecta illustrissimi Imperatoris Domini D. Fredericî præcibus. Quæst. IL — Cet écrit se trouve dans les collections de traités astronomiques imprimées à Venise, par Octavianus Scotus de Modène en 1518 et par Lucantouius de Giunta de Florence en 1518 et en 1531.

2. Aristote, Περὶ Οὐρανοῦ, Livre I, ch. IX.

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