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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

est principe et cause des actions qu’il accomplit ; être homme, c’est posséder en soi-même le principe d’une telle manière d’agir. »

Saint Thomas d’Aquin va beaucoup plus loin qu’Alexandre d’Aphrodisias ; même si le monde sublunaire ne contenait point d’homme, point d’être doué de volonté libre, même s’il ne renfermait que des corps, les changements qui s’y produisent ne suivraient pas la règle inflexible du déterminisme ; il y adviendrait parfois des changements sans cause. Ainsi, dans le monde des corps sublunaires, Thomas d’Aquin admet le hasard ; non pas le hasard tel que le définissait Aristote[1], mais le hasardcaprice, le hasard tel que le concevaient les Atomistès.

Ce ne sont pas, d’ailleurs, les Atomistès qui le persuadent d’attribuer des mouvements fortuits aux corps formés par les éléments, de refuser à la matière l’aptitude à produire toujours les mêmes effets lorsqu’on la soumet aux mêmes causes. La pensée qui le guide, c’est cette pensée néoplatonicienne que la matière sublunaire est un principe de désordre, qu’elle échappe sans cesse, par son incessante aptitude au changement, aux lois fixes que l’action des corps célestes tend à lui imposer. Ce qu’il formule clairement, c’est ce que Ptolémée[2] et, surtout, Galien[3] laissaient entendre.

Sans doute, les perturbations fortuites qui interrompent la marche régulière des lois imposées par les astres aux corps sublunaires sont rares ; elles ne surviennent que dans le plus petit nombre des cas, « in paucioribus » ; dans la majorité des circonstances, ces lois sont obéies ; il n’en est pas moins certain que les règles de la Physique sublunaire ne devront pas être tenues pour toujours exactes ; elles sont seulement vraies la plupart du temps. Cette conclusion découle forcément de la doctrine que professe Saint Thomas d’Aquin ; Proclus l’en avait autrefois déduite[4] : « Lorsqu’il s’agit des choses sublunaires, disait-il, nous nous contentons, à cause de l’instabilité de la matière qui les forme, de prendre ce qui se produit dans la plupart des cas. »

  1. Voir : Première partie, ch. XIII, § V ; t. II, p. 295.
  2. Voir : Première partie, ch. XIII, § IV ; t. II, p. 291.
  3. Voir : Première partie, ch. XIII, § XIII ; t. II, p. 366.
  4. Voir : Première partie, ch. X, § V ; t. II, pp. 106-107.