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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

» Cette science admet donc que tout arrive nécessairement par l’action du Ciel, et, en vertu de cette nécessité, elle s’attribue le pouvoir de juger infailliblement de tous les événements futurs.

» Mais cette Mathématique-là n’est pas seulement condamnée par les Saints ; elle l’est aussi par les Philosophes. Ptolémée, Aristote, Avicenne, Messehalac, Haly, Albumasar, qui ont parlé de ces questions avec plus d’autorité que tous les autres, n’admettent point qu’une absolue nécessité soit imposée aux choses d’ici-bas par la vertu du Ciel, car le libre arbitre n’est point soumis aux choses, naturelles ; ils ne pensent pas qu’on puisse, [par l’Astrologie], rendre des jugements infaillibles ; bien loin d’imposer au libre arbitre une nécessité quelconque, ils n’assignent même pas, comme on le verra, une nécessité aux choses naturelles. »

En dépit de l’affirmation de Roger Bacon, il est permis de contester que tous les auteurs qu’il cite aient imposé à l’Astrologie qu’ils croyaient légitime les restrictions à l’aide desquelles notre auteur définit la véritable Mathématique ; mais, dès maintenant, nous voyons que ces restrictions sont aussi celles à l’aide desquelles Saint Thomas d’Aquin délimitait l’Astrologie licite.

Bacon va donc, par de nombreuses citations, nous apprendre ce qu’enseignent, touchant la portée de leur art, « les véritables mathématiciens[1] qu’il nomme, en cette partie, astronomes ou astrologues, car Ptolémée, Avicenne et plusieurs autres les appellent indifféremment de l’une et de l’autre manière. »

Au Centiloquium de Ptolémée, Bacon emprunte[2] l’affirmation que l’astronome ne doit pas prononcer de jugements particuliers, mais seulement des jugements universels ; au De judicius astrorum d’Hali, il demande ce texte : « Cette science ne procède que par probabilité et opinion, car la matière, sur laquelle porte toute l’opération des astres, peut être tournée soit dans un sens, soit dans le sens opposé. » D’autres citations d’Hali et de Ptolémée préparent la conclusion suivante[3] :

« Par ces paroles et par d’autres semblables, il est manifeste que Ptolémée n’a pas eu l’intention d’autoriser l’astrologue à donner un jugement qui soit certain dans le particulier et qui suffise à tous les cas singuliers ; s’il peut formuler un

  1. Roger Bacon, loc. cit., éd. Jebb, p. 152 ; éd. Bridges, vol. I, p. 242.
  2. Roger Bacon, loc. cit., éd. Jebb, p. 152 ; éd. Bridges, vol. I, p. 242.
  3. Roger Bacon, loc. cit., éd. Jebb, p. 154 ; éd. Bridges, vol. I, pp. 245-246.