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LE VIDE ET LE MOUVEMENT DANS LE VIDE

ne proprement entendre que est éternité ; et nientmoins7raison naturèle nous enseigne qu’elle est.

» Semblablement, pour ce que la cognoissance de nostre entendement despent de noz sens qui sont corporelz, nous ne povons comprendre ne proprement entendre quelle est ceste espace incorporèle qui est hors le ciel, et toutevoies raison et vérité nous fait cognoistre que elle est. Et de ce puet estre entendue l’Escripture qui dit de Dieu (Job, xxvie) : Qui extendit aquilam super vacuum.

» Je conclu doncques que Dieu puet et pourroit faire par sa toute-puissance un autre monde que cestui, ou plusieurs semblables ou dissemblables, et Aristote ne prouva oncques, ne autre, souffisamment le contraire. Mais oncques de fait ne fu, et ja ne sera, fors un seul monde corporel, si comme il est dit devant. »

Admettre qu’il y a, hors des bornes de ce Monde, un espace vide infini, c’est reprendre, contre le Péripatétisme, l’enseignement du Stoïcisme. Mais admettre que cet espace vide n’est autre que l’immensité de Dieu, c’est proposer la doctrine même que Newton concevra de nouveau, que Clarke soutiendra contre Leibniz.


N. Graziadei d’Ascoli


Qu’il ne faille pas refuser à Dieu le pouvoir de créer un espace vide, les décrets portés par Étienne Tempier et ses conseillers avaient été les premiers à le proclamer, au moins indirectement ; ces décrets avaient, pour ainsi dire, forcé l’Université de Paris et les écoles soumises à son influence d’adopter cette proposition ; mais on la vit bientôt reçue même dans les universités où les condamnations de Paris n’avaient point autorité ; ainsi la pouvons-nous entendre à Padoue, où elle est professée par le dominicain Graziadei d’Ascoli.

« La Cause première, dit Graziadei peut, par sa force, introduire un espace vide dans le Monde. » La Cause première, en effet, n’agit pas d’une manière nécessaire, mais par une volonté entièrement libre. « Elle pourrait donc ôter absolument l’existence à tout ce qui se trouve dans la sphère des choses passives, sans l’ôter aux choses qui sont dans la sphère des orbes célestes ;

1. Preclarissime questiones littérales édité a fratre grattadeo esculano sacri ordinis predicatorum super libros Aristo de phystco auditu… ; lib. IV, lect. XII, quæst. III ; éd. Venetiis. 1503, fol. 50, col. b.