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LE VIDE ET LE MOUVEMENT DANS LE VIDE

vitesse finie, devait amener les Scolastiques à concevoir une notion absolument étrangère à la Physique péripatéticienne, la notion de masse. On ne pouvait, d’ailleurs, préciser ce que c’est que la masse d’un grave, si l’on ne précisait ce qu’est la force qui fait tomber le corps ; les deux notions de poids et de masse ne peuvent se définir qu’en se distinguant l’une de l’autre.

Qu’est-ce donc que le poids d’un corps ? C’était, pour les Péripatéticiens, une difficile question.

Avant de formuler les règles de sa Dynamique, Aristote ouvre le Septième livre de sa Physique par cette déclaration[1] :

« Tout ce qui est en mouvement est nécessairement mû par quelque chose ; si donc il ne possède pas en lui-même le principe du mouvement, il est évidemment mû par un autre. Ἅπ αν τὸ κινούμενον ἀνάγκη ὑπὸ τινος κινεῖσθαι. Εἰ μὲν οὐν ἐν ἑαυτῷ μὴ ἔχει τὴν ἀρχὴν τῆς κινήσεως, φανερὸν ὅτι ὑφ' ἑτέρου κινεῖσται. »

Cette déclaration semble un simple truisme ; on n’y devinerait pas, tout d’abord, l’un des principes les plus essentiels du Péripatétisme et l’un des plus féconds en inadmissibles conséquences. C’est que, pour le pleinement entendre, il faut savoir ce que, pour Aristote, requiert cette condition : Le mobile possède en lui-même le principe de son mouvement. Or, cette condition suppose que le mobile est un être vivant, qu’il a une âme, « car[2] cela d’où provient, en premier lieu, le mouvement local, c’est l’âme, Ἀλλὰ μὴν καὶ ὅθεν πρῶτον ἡ κατὰ τόπον κίνησις, ψυχή. »

Toutes les fois donc qu’un mobile ne sera pas un être animé, on devra chercher hors de lui le moteur qui l’a mis et qui le maintient en mouvement.

Nous disons qui l’a mis, et qui le maintient en mouvement ; Aristote, en effet, ne concevait pas que l’action du moteur dût être bornée au début du mouvement et qu’un corps, une fois lancé, pût continuer à se mouvoir sans force motrice ; il faut, tant que le mouvement dure, que cette force continue de s’exercer, que le mobile soit mû ; c’est ce qu’exprime très précisément cette proposition : Ἅπαν τὸ κινούμενον ἀνάγκη ὑπὸ τινος κινεῖσθαι.

Donc, tant que se poursuit le mouvement d’un être inanimé, nous devons trouver hors de lui le moteur qui le conduit. Voilà le sens complet de la proposition qui nous semblait, tout

  1. Aristote, Physique, livre VII, ch. I.
  2. Aristote, Traité de l’âme, livre II, ch. IV.