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LA PHYSIQUE PARISIENNE AU XIVe SIÈCLE

(concausa). Elle n’est pas l’agent moteur principal ; elle a besoin du moteur principal qui est la forme immatérielle.

» On peut dire encore que, prise en elle-même, cette forme matérielle, qui est seulement acte de la matière, ne suffit pas à mouvoir ; mais par la réception de la forme immatérielle qui se superpose à elle, la forme matérielle est anoblie ; elle devient immatérielle d’une certaine manière et suffît alors à mouvoir…

» Il y a donc ici deux moteurs. Il y a le moteur principal qui est la forme immatérielle. Il y a ensuite le moteur non principal, le moteur secondaire ; il est, pour ainsi dire, l’instrument au moyen duquel l’agent et moteur principal meut le grave ; ce moteur secondaire, c’est la forme matérielle, la forme substantielle, la forme qui constitue la perfection même du grave. »

Pour bien saisir la portée du langage que nous venons d’entendre, il faut se souvenir qu’il est tenu par un disciple d’Avicébron. Bacon est accoutumé à ces superpositions de forme de plus en plus parfaites dont chacune se comporte comme une matière à l’égard de la forme plus noble qui la vient achever. La forme substantielle du grave, moteur incomplet par elle-même, s’unit à la force céleste comme la matière s’unit à la forme, et elle devient alors moteur complet ; elle suffît à déterminer la chute du grave.

La théorie de Bacon permet d’interpréter l’affirmation d’Aristpte : Le moteur du grave, c’est la cause qui l’a engendré[1]. En effet, selon l’enseignement d’Alexandre d’Aphrodisias[2], répété par Avicenne et.par Al Gazâli[3], c’est le ciel qui a engendré le grave, c’est le ciel qui a conféré aux divers éléments leurs formes substantielles ; or, nous venons de le voir, c’est aussi la force céleste qui fait tomber les corps pesants et monter les corps légers.

Mais si la force du ciel est, pour le grave, à la fois cause génératrice et cause motrice, c’est à la condition d’être considérée sous deux aspects différents ; ce n’est pas en tant que cause génératrice qu’elle est cause motrice.

En tant que cause génératrice, la vertu céleste meut la matière du grave vers la forme ; elle ne lui confère aucun mouvement local. Une fois que la matière du grave s’est unie à la forme substantielle, le composé ainsi constitué, dont la forme est susceptible de recevoir une autre forme plus noble, est, selon le

1. Quæst. VIII ; ms. cit., fol. rt 1, col. b.

2. gVoir : Première partie, Ch. XIII, § XI ; t. Il, p. 345-346.

3. ^Voir : Première partie, ch. XIII, § XI ; t. Il, pp. 348 et 368.

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