Page:Duhem - Le Système du Monde, tome VIII.djvu/78

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée
75
LE VIDE ET LE MOUVEMENT DANS LE VIDE

soumise à l’influence et à la force de cette cause ; elle ne garderait donc rien en elle-même qui la contraignît à telle opération ; partant, elle ne garderait pas non plus l’acte qu’elle possédait auparavant, par suite de l’influence de cette cause. En effet, l’agent générateur particulier n’est cause de la chose engendrée qu’au seul égard du devenir, tandis que, par sa continuelle influence, l’agent générateur universel est cause, à la fois, de l’existence et du devenir de cette chose. Cet agent universel, une fois supprimé, tout ce qui provenait de son influence doit nécessairement disparaître…

» Si la cause génératrice universelle, c’est-à-dire la sphère céleste, était supprimée, l’inclination des corps du monde inférieur vers le bas ou vers le haut disparaîtrait nécessairement, du moins suivant l’ordre de la nature ; les graves ne tendraient plus à descendre ni les corps légers à monter ; les graves ne retiendraient donc pas leur gravité, ni les corps légers leur légèreté. Partant, il est nécessaire de dire que si les graves se meuvent vers le bas et les corps légers vers le haut, c’est par la force, partout diffusée, de l’agent universel.

» Il faut considérer, toutefois, que la force de l’agent générateur universel n’est pas, de soi, déterminée à tel effet plutôt qu’à tel autre, et cela à cause de sa généralité. Si elle doit produire un effet déterminé, il faut qu’elle y soit, elle-même déterminée par quelque chose. Or, c’est l’agent particulier, ce sont les dispositions qui peuvent se rencontrer dans la matière qui déterminent cette force universelle à produire telle forme [substantielle] déterminée. Quant à la production de tel mouvement déterminé, cette force y est déterminée par la forme naturelle [qu’elle a ainsi donnée] au mobile, car cette forme a pour conséquence une certaine inclination ; c’est la pesanteur mise dans les corps graves qui détermine la force de l’agent universel à les mouvoir vers le bas ; c’est la légèreté des corps légers qui détermine cette force à les mouvoir vers le haut. »

Nous retrouvons ici, à n’en pas douter, la doctrine de Roger Bacon, encore qu’elle ait perdu de sa netteté.

Si Bacon avait amené Graziadei à son opinion, il n’avait pas convaincu tout le monde. Qu’il faille, à côté de la forme substantielle d’un corps pesant, placer une autre forme, une gravité engendrée par l’influence céleste ; que ce soit cette gravité, et non la forme substantielle, qui meuve le poids dans sa chute, certains maîtres de l’Université de Paris n’y voulaient pas consentir ; de ce nombre était Pierre d’Auvergne.