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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/102

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L’UNIVERSITÉ DE PARIS AU XVe SIÈCLE

l’esprit de Duns Scot », d’avoir « extrait la moëlle » du Scriptum Oxoniense. Pour qu’on n’en puisse douter, Maître Martin Molenfelt de Livonie, professeur à l’Université Royale de Fribourg, qui a revu et complété l’œuvre de Tataret, prend soin d’indiquer en marge, par des renvois précis, les passages du Docteur Subtil dont l’auteur s’est inspiré.

Le baccalauréat une fois passé, l’étudiant aborde la licence. Il lui faut pour cela connaître les six premiers livres de l’Éthique d’Aristote ; aussi, en 1496, Jean Lambert imprime-t-il à Paris les Petri Tatareti in sex libros Ethicorum questiones. Il doit avoir étudié le De anima, les Parva naturalia, les divers écrits où le Stagirite a exposé sa Philosophie naturelle, enfin les six premiers livres de la Métaphysique ; sa tâche sera singulièrement facilitée par la Clarissima singularisque totius philosophie necnon metaphisice Aristotelis expositio ; le colophon de ce précieux petit manuel lui dira qu’il a été : Diligentissime castigatum impensis prudentis viri Jacobi bezanceau mercatoris pictaviensis, consummatum parisii cura pervigili magistri Andrée Bocard, 1494. decima die februarii[1].

La Somme de Philosophie de Tataret eut certainement, au début du xvie siècle, la plus grande vogue. Nous en avons pour témoins les nombreuses éditions qui en furent données à cette époque ; nous en trouvons encore un autre témoignage non moins formel dans les sarcasmes dont l’accablaient les humanistes.

Érasme, dans sa Raison de la véritable théologie[2], raille « ceux qui ont consacré une bonne partie de leur vie aux Bartholus et aux Baldus, aux Averroès, aux Holkot, aux Bricot et aux Tataret, aux sophistiques chicanes, aux summulæ et aux collectanea les plus confus, pour eux, les Saintes Lettrés n’ont plus la saveur de ce qu’elles sont vraiment ; elles ont la saveur de tout ce que ces gens-là apportent avec eux, »

À ces critiques se joignent plus tard les grossières plaisanteries de Rabelais ; Tataret en est l’objet, en même temps que ses prédécesseurs, comme Nicolaus de Orbellis et Bricot, que ses successeurs immédiats, comme Jean Majoris et Noël Beda. Lorsque Pantagruel visite l’abbaye de Saint-Victor, il y trouve des livres dont le catalogue remplit de longues pages[3]. Là,

  1. Hain Op. laud., no 15.343.
  2. Desiderii Erasmi Ratio veræ theologiæ. (Desiderii Erasmi Opera omnia, Lugdumi Batavorum, cura et impensis Petri Vander Aa, 1704, T. V, col. 83.)
  3. Rabelais, Pantagruel ; livre II, ch. VII : Comment Pantagruel vint à Paris, et des beaulx livres de la librairie de Saint-Victor