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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/123

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

Ce recours à la nature universelle nous fait prévoir l’explication que notre auteur donnera de l’existence des terres fermes.

C’est au commencement du second livre des Météores que Jean le Tourneur se pose cette question[1] : « La terre doit-elle être entièrement recouverte par les eaux ? » Voici sa réponse :

« La terre ne doit pas être, en entier, recouverte par les eaux, et telle en est la preuve : Le lieu propre à la génération des êtres vivants est celui où se touchent trois éléments, comme on le voit au second livre De la génération ; mais, dans le Monde, la génération se fait toujours ; il faut donc qu’il y ait quelque lieu où les éléments se touchent et, par conséquent, pour la conservation de la vie animale, il faut que, quelque part, la terre ne soit point recouverte par les eaux…

» Si les éléments étaient logés suivant leurs inclinations naturelles, chacun des trois autres éléments entourerait la terre entière sous forme d’une couche sphérique ; mais, pour la susdite raison, il se rencontre, en une certaine partie de la terre, une sécheresse qui résiste à l’humidité de l’eau ; c’est cette partie que les eaux ne recouvrent pas ; ç’a été l’intention de la nature universelle, en vue du salut des êtres animés. »

Nous voici bien loin de la théorie de Buridan et d’Albert de Saxe ! La Mécanique dont celle-ci se réclamait n’est point, il est vrai, une Mécanique exacte ; le progrès de la Statique en a dû corriger les principes ; le recours à de telles raisons de Mécanique suivait cependant les règles d’une saine méthode scientifique. Par un long recul, Jean le Tourneur nous a ramenés aux considérations que Roger Bacon développait, avant le milieu du xiiie siècle, à la Faculté des Arts de Paris ; lorsque son Péripatétisme le conduit à quelque cul-de-sac, une invocation à la complaisante nature universelle lui ouvre une issue.

La supposition d’une nature universelle supérieure à la nature propre de chaque élément et, partant, capable de produire des mouvements ou des états de repos que la seule nature propre ne saurait expliquer, était, dans la philosophie de Bacon, hypothèse raisonnable ; en effet, avec Avicènne, Al Gazâli et Avicébron, Bacon mettait en tout corps, avant la forme substantielle spécifique, une forme corporelle commune à tous les corps. Cette notion de la nature universelle se justifiait moins aisément pour un thomiste, qui niait la corporéité et qui, dans

  1. Joannis Versoris 'Metheororum, lib. II, quæst. I. Ed. cit., fol. XVIII, col. c et d. et fol. XIX, col. a.