Aller au contenu

Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
128
LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

d’Avicenne, à ce sujet, c’est que le mouvement du premier mobile n’est pas produit par le premier Principe, mais bien par la première Intelligence créée ; le second mouvement vient de la seconde Intelligence, etc. Ce fut aussi, je crois, l’opinion d’Albert. Au dire de Saint Thomas, toutefois, il est raisonnable que le mouvement du premier mobile provienne du premier Principe, de l’intelligence incréée qui est Dieu, de telle sorte qu’il y ait connexion entre les substances intellectuelles et les substances corporelles. De même, en effet, par son mouvement, le premier mobile est cause de toutes les choses corporelles, de même son moteur est la Cause première, celle qui est cause de toutes les autres substances intellectuelles. Quant aux mouvements inférieurs, chacun d’eux a son moteur approprié. »

Peut-il exister plusieurs Intelligences de la même espèce ? Avec Saint Thomas d’Aquin, Jean le Tourneur déclare que c’est impossible[1]. Parmi les raisons de cette impossibilité, se trouve celle-ci : « Les substances intellectuelles n’ont pas de matière, et c’est la matière qui est cause de la multiplicité individuelle et matérielle.

» Peut-être dira-t-on : Cette réponse est en faveur de l’article condamné à Paris ; cette condamnation dit, en effet : Que Dieu ne puisse faire plusieurs anges d’une même espèce, c’est une erreur. On répondra à cet article qu’on le peut entendre ainsi : Dire que Dieu ne pourrait faire plusieurs anges d’une même espèce parce que cela excède le pouvoir de Dieu, c’est une erreur. Mais, en ce sens, nous n’admettons pas cette proposition : Dieu ne pourrait faire plusieurs anges d’une même espèce. Aussi vaut-il mieux nous exprimer de la façon suivante : Plusieurs Intelligences d’une même espèce ne peuvent être faites parce que cela n’est pas faisable, quia non est formabile. »

Les condamnations portées en 1277 par Étienne Tempier demeuraient donc en vigueur, à Paris, aux dernières années du xve siècle ; mais elles n’embarrassaient pas beaucoup les Thomistes ; ils en étaient quittes pour les tourner par quelque faux-fuyant.

Ces condamnations, toutefois, étaient sans doute pour une bonne part dans la défaveur que l’École thomiste rencontrait

  1. Joannis Versoris Op. laud., lib. XII, quæst. XI ; éd. cit., fol. CVI, col. b et c.