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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/268

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NICOLAS DE CUES


E. L’existence de Dieu


Exister, c’est déjà une détermination. Désireux de soustraire l’Un à toute définition, à toute détermination, Proclus plaçait l’Un au-dessus de l’Être ; aussi, de la plus haute des substances divines, de l’Un, n’hésitait-il pas à déclarer qu’elle est un non-être (ηὴ ὄν) ; à son gré[1], nous devons concevoir deux non-êtres ; pour former l’idée du premier, de ce qui existe, nous retranchons l’existence, et nous obtenons ainsi la notion de la matière première, de la ὕλη ; pour concevoir le second, nous formons un concept qui soit supérieur à l’être, et, par là, nous arrivons à penser ce non-être qui est l’Un.

Le faux Aréopagite se plaisait à déclarer que Dieu existe d’une existence supra-substantielle ; mais il n’allait pas jusqu’à l’appeler un non-être. Au contraire, les rabbins de la Kabbale ne redoutaient pas d’imiter, sur ce point, le langage de Proclus et de donner à Dieu[2] un nom qui signifie nulle chose ou néant.

Parce qu’il est au-dessus de tous les êtres, Dieu est un nonêtre ; il n’existe pas, car il est supérieur à toute existence ; ce sont propositions dont l’allure antinomique surprend et confond l’esprit ; elles étaient bien faites pour séduire Nicolas de Cues.

Nous l’entendons, tout d’abord, déclarer[3] que le maximum absolu est un être : « On ne peut concevoir que quelque chose existe sans être ; sans doute, ce nom d’être, non plus qu’aucun autre nom, n’est précisément le nom du maximùm, qui est au-dessus de tout nom, toutefois être au maximum (esse maxime) et d’une façon qui ne se peut nommer,… c’est chose qui lui convient nécessairement. »

Mais en même temps qu’il est le maximum absolu d’existence, Dieu en est le minimum absolu et, à ce titre, il mérite d’être appelé non-être.

D’ailleurs, toute série de choses est, nous le savons, comprise entre un minimum absolu, qui est le commun principe de ces choses, et un maximum absolu qui en est la commune fin ; le maximum et le minimum sont identiques entre eux ; mais l’un et l’autre sont d’un autre ordre et, pour ainsi dire, d’une autre nature que les divers termes de la série. Dieu donc,

  1. Voir : Troisième partie, ch. I, § II, t. IV, pp. 346-347.
  2. Voir : Troisième partie, ch. VI, § n, t. v., p. 84.
  3. Nicolai de Cusa De docta ignorantia, lib. I, cap. VI ; éd. cit., p. 5.