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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/276

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NICOLAS DE CUES

En Dieu, la puissance absolue, l’acte pur et l’union de cette puissance avec cet acte sont coéternels[1].

L’acte[2] présuppose logiquement la puissance, qui en est le principe ; la puissance, au contraire, ne présuppose rien. Cette puissance qui est, logiquement, le principe de l’acte, c’est le Père ; le Fils est l’éternelle mise en acte de la puissance du Père ; de l’un et de l’autre, procède le Saint-Esprit qui est l’union, coéternelle à l’une et à l’autre, de la puissance absolue et de l’acte pur. « Le Fils est ce que le Père peut, et le Saint-Esprit est le lien de la Toute-puissance avec le Toutpuissant. »

Arrêtons notre esprit sur cette proposition : Le Fils est ce que le Père peut.

Ce que peut le Père, qu’est-ce donc ? C’est l’ensemble des créatures, aussi bien de celles qui ont été appelées à l’existence ou qui le seront, que de celles qui ne verront jamais leur possibilité passer à la réalité. Cette création universelle qui est en puissance dans le Père, elle est mise en acte dans le Fils ou, mieux, le Fils n’est pas autre chose que l’Universalité de la création considérée comme existant d’une manière actuelle ; le Fils est donc, en quelque sorte, la mesure de ce que le Père peut faire ; par suite, il est parfaitement égal à la toute-puissance du Père. Et, d’autre part, le Père et sa puissance ne sont pas choses différentes ; le Père et le Fils sont donc parfaitement égaux entre eux.

Cette doctrine, si voisine de celle que Scot Érigène s’était plu à développer au sujet du Verbe divin, Thierry de Chartres l’avait formulée dans les termes suivants[3] :

« Pour chacune des choses, la Divinité est la forme qui confère l’existence (forma essendi). C’est par la lumière qu’un corps est lumineux et par la chaleur qu’il est chaud ; de même, c’est de la Divinité que chaque chose tire son être (esse). On voit par là que, partout, Dieu est tout entier et d’une manière essentielle. L’unité est donc, pour chaque chose, la forme qui lui confère l’existence…

» L’Unité est l’être (esse) unique et premier des choses ; d’autre part, l’Égalité dont nous avons parlé existe à titre d’égalité de l’Unité ; nécessairement donc cette Égalité est

  1. Nicolai de Cusa Op. laud.  ; éd. cit., t. I, pp. 250-251.
  2. Nicolai de Cusa Op. laud.  ; éd. cit., t. I, p. 260.
  3. B. Hauréau, loc. cit., p. 181 et p. 183.