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Page:Duhem - Le Système du Monde, tome X.djvu/303

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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

immédiatement au-dessus de lui, et cela de proche en proche jusqu’à ce qu’il parvienne aux cieux ; de là il remonte à l’Âme universelle, puis à l’intelligence active, au sein de laquelle coexistent toutes les créatures ; l’Intelligence active, à son tour, existe au sein du premier Auteur qui est le Verbe créateur ; à lui toutes choses font retour, car toutes choses ont été créées par lui et subsistent en lui. »

Que ce passage de la Théologie d’Aristote ait vivement attiré l’attention de Nicolas de Cues, il est difficile d’en douter. Sans donner de l’immortalité de l’âme une théorie qui lui soit personnelle, l’auteur de l’Ignorance savante se borne à rappeler, sous la forme conjecturale d’interrogations, diverses doctrines, empruntées pour la plupart à des philosophes néo-platoniciens ; il termine par celle-ci, qui semble avoir ses préférences[1] :

« Les formes qui appartiennent à une certaine région ne trouveraient-elles pas leur repos dans une forme supérieure, par exemple dans une forme intellectuelle ? N’est-ce pas par l’intermédiaire de cette forme qu’elles parviennent à leur fin, qui est la fin même du Monde ? Les formes inférieures, en effet, n’atteindraient-elles pas leur fin dans cette forme intellectuelle et, par celle-ci, en Dieu ? Cette forme supérieure ne monterait-elle pas vers la circonférence, qui est Dieu, tandis que le corps descendrait vers le centre, qui est également Dieu ? Le mouvement de toutes choses serait ainsi vers Dieu. De même, en effet, que le centre et la circonférence sont une même chose en Dieu, de même le corps, tout en descendant vers le centre, tout en paraissant s’éloigner de l’âme qui monte vers la circonférence, serait enfin réuni à l’âme au sein de Dieu, où cessera tout mouvement. »

Que la partie raisonnable des âmes humaines s’élève, après la mort, vers une forme intellectuelle supérieure qui monte elle-même se reposer en Dieu, c’est la supposition de la Théologie d’Aristote. Nicolas de Cues la complète. L’auteur néo-platonicien ne s’était point soucié du sort qui attend le corps après la mort ; l’auteur de l’Ignorance savante veut qu’il descende tandis que l’âme monte, qu’il tende vers un terme absolument opposé à celui que cherche l’âme, et, par conséquent, puisque les extrêmes opposés s’identifient en Dieu, qu’il marche à la rencontre de l’âme ; ainsi le corps et l’âme se rejoindront, se

  1. Nicolai de Cusa De docta ignorantia, lib. II, cap. XII ; éd. cit., t. I, p. 41.