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LA COSMOLOGIE DU XVe SIÈCLE

prise au pied de la lettre ou au sens propre des termes, on ne doit pas conduire l’examen ni prononcer le jugement de la même manière dans les sciences spéculatives dont la première Logique est la servante, et dans les sciences morales et politiques où, nous l’avons vu, la Rhétorique est en vigueur. Quiconque confondrait ces deux Logiques, quiconque exigerait l’emploi soit de la Rhétorique dans les sciences spéculatives, soit de la première Logique dans les sciences pratiques, se précipiterait dans les erreurs les plus absurdes et les plus ineptes. »

Or c’est dans un semblable travers qu’au temps de Gerson, donnaient nombre de maîtres ; pour faire montre de leur habileté, ces pédants allaient, jusque dans des sermons, poser et résoudre les sophismes sur lesquels, en la Faculté des Arts d’Oxford, et même en celle de Paris, s’escrimaient les jeunes dialecticiens.

Dans leurs sermons moraux, dit le Chancelier, ces étranges prédicateurs « usent de façons captieuses de parler ; sans doute, leurs propos sont vrais suivant les-règles^ de langage que garde la première Logique ; mais, selon le commun langage, selon la Rhétorique qui est de mise en de semblables matières, la fausseté en est évidente et scandaleuse. Par exemple, ils posent une proposition indéfinie qui, pour ceux qui traitent seulement de morale, équivaut à une proposition universelle ; au point de vue de la stricte Logique, la proposition indéfinie est parfaitement vraie ; mais pour le rhétoricien ou le juriste, la proposition universelle est extrêmement fausse. »

On les voit agir de la sorte même « en des lieux où des auditeurs ne sont point rompus ni exercés à entendre, à comprendre de telles manières de parler ; où ce sont des gens du peuple, ou bien encore des hommes adonnés aux sciences morales, des légistes ou des canonistes. Aller devant un tel auditoire, dans des cérémonies publiques, donner une semblable Logique pure, ou bien de la Physique ou de la Métaphysique, c’est agir avec grande imprudence, pour ne pas dire avec impudence…

» Observons ce précepte de Saint Grégoire : Que le discours de ceux qui enseignent se conforme aux dispositions morales de ceux qui écoutent ! C’est l’opposé qui, dit-on, se fait avec une extrême fréquence en Angleterre ; et, si l’on y prend garde, cette coutume, hélas ! s’établira même en France. Quelle fenêtre largement ouverte par où se dissémineraient les erreurs et les scandales ! Ce qui précède nous permet de le dire et la voix de l’expérience le proclame.