Page:Dujardin - À la gloire d’Antonia.djvu/5

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

jeune fille troublée, qui me tendait sa main, dont je touchais la main, qui murmurait des mots, yeux demi-clos, et silencieuse en face du silencieux, et dont je sentais l’âme pénétrer en mon âme, et solitairement une, oh lune du ciel, floraison exotique et subtile, oh bonté, la rare âme en mon âme, uniquement l’âme rêvée, non l’apparence, idée, le songé de féminin. Mon amie, nous étions l’un en face de l’autre ; et cette journée fut, tandis que nous disions des paroles quelconques, tandis qu’ensemble nous allions ce jour très mystérieux.

Et fut le soir.


V


Par le soir tiède, dans une vaste salle où sont des promeneurs, sous l’ombre d’arbustes verts, en un coin obscurci, elle et moi, qui au près sommes assis, immobiles, ne nous touchant point, ne nous regardant point, nous sachant immobiles les deux, à voix très basse et très lente, nous disons des paroles, des paroles quelconques ; je l’entends qui parle, et je parle.

— « Vous n’aimez pas le bal ?.. j’y fus quelques semaines avant votre lettre ; j’avais une robe blanche et ce ruban noir. ; c’était un bal intime ; beaucoup de gens ; j’étais triste ; je ne dansai point.

— « Vers cette époque je vis la Savoie ; une trouée de lac ; des pentes de collines hautes comme des montagnes ; des eaux bleues, ceintes de campagnes verdâtres ; un ciel nuagé avec du soleil ; et beaucoup de paroles, beaucoup de bruits d’argent ; j’aimais ces mondanités ; je fuyais les solitudes.

— « La solitude, le monde, le demi isolement champêtre, la demie fréquence des provinces, c’est, tout cela, des musiques vagues qui charment successives le rêve ; l’une et puis l’autre maintenant agrée au rêve, successive l’une puis l’autre fait un fond de murmure en l’âme.

— « Un jour, sur une place, à l’heure de midi, la place était déserte presque, je vis, passant, un très jeune garçon ; à son bras une très jeune fille ; gais, les deux, têtes hautes, enfants du peuple, et amoureusement.

— « Avez-vous marché seul dans une fête populaire ? avez-vous connu un isolement de la foule circonvenante ? avez-vous participé des joies simples et de la pluralité ?

— « J’étais, il y a quelques mois, à Paris en un pareil jour ; c’était des joies fausses ; j’entendais, comme derrière une