Page:Dujardin - À la gloire d’Antonia.djvu/8

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VI


Oh visions des temps, choses qui furent en les siècles de mes années, joies enfantines très suaves, faux amours, pleurs des rêves, cris des aspirations, pitiés à Dieu, oh religiosités très profondes et anciennes, vie passée, oh ce qui fut le mien, les rochers nus et les frémissements des vents obscurs, bonnes paroles maternelles, oh quand j’ai désiré, et quand prié, voulu, loué, achevé, chanté, quand j’ai erré, oh visions, oh précurseurs à l’attendu… Une ombre immense est par devant, une apparence de route et d’arbres et de choses, une ombre, des chemins doux et des rives fluviales, des feuillages pâles stellairement et des haleines printanières chaudes aux nerfs, des décors de musiques lointaines, des tristesses, et des subtiles couches voluptueuses aux corps étreints, des ailes angéliques avec des larmes… Oh cieux, noir ciel, points étoilés, rideaux feuillus, oh terre noire, nuit, oh nuit propice aux destinées, — je vois un vague très confus où ma pensée irait pour d’amoureuses élections.


VII


Entre mes mains je prends une main d’elle ; elle me laisse sa main ; muettement ; elle me regarde, très pure, en ses yeux clairs ; je la regarde ; elle me regarde, pâle au front mat, et ses grands yeux sont de tendresses ; chaude, douce, et amoureuse, mes mains pressent sa main ; nous nous regardons ; je vois ses yeux, son rond visage, et sa poitrine, ses cheveux, ses yeux mélancoliquement à moi ouverts ; j’attire à ma bouche sa main ; j’ai sur ma bouche la chaleur amoureuse et douce de ses doigts et leur caresse ; et lentement elle ferme ses yeux ; un gonflement lent de sa gorge, un renversement de sa tête lent ; elle ferme ses yeux adorants ; de ma main gauche je touche sa tête au dessus de sa nuque, et plus près à elle je me penche ; mes doigts ont la courte touffe et le cadre de ses cheveux, et sous mes lèvres j’ai sa chevelure ; je me pâme jusqu’à mon cœur ; entre mes bras un corps ; une poitrine contre mon cœur ; dans mon cou une haleine moite ; et sur mes épaules deux mains faibles ; dans mes mains chante la chevelure ; et, dans mes yeux, la chevelure noire de la ronde tête ; sous mes lèvres la chevelure ; et la tête insensiblement ne se relève-t-elle pas ? sous mes lèvres, au travers