Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/26

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Ah, ah, ah… et elle se mit à rire, d’un rire si gai, si franc ; et… et cœtera, et cœtera. »

C’est la moralité de l’histoire.

— « Très bien, très bien, mon cher Hénart. C’est très gentil de vous, me conter ces choses. Et vous allez vous marier ? »

— « Cet été, je l’espère. »

— « A-t-elle un peu de fortune ? »

— « La maman a de quoi vivre décemment ; moi, depuis que je suis à la Compagnie-du-nord, je gagne quelque argent. »

— « Très bien, très bien. Elle a vingt ans, ne disiez-vous pas, vous vingt-sept ? »

— « J’ai en elle » il me parle à voix très basse « en elle j’ai l’honneur et la raison de ma vie ; je vais être son mari ; et je vis une joie certaine, infinie, ainsi qu’une entrée dans le ciel. »

Une joie certaine ; infinie ; le ciel ; son mari ; une femme ; une joie infinie. Nous marchons, Paul et moi, dans les rues. En face de nous, le boulevard Malesherbes ; les arbres ; les lumières ; les rues désertes ; une pâle brise. Je voudrais être là-bas, à la campagne, chez mon père, dans les champs nocturnes seul, seul, oh seul à marcher ; si bon il fait, la nuit, parmi les seules campagnes, à aller, un bâton à la main, tout droit, rêvant des choses possibles, en le silence, dans les grandes seules campagnes, sur les profondes routes, si bon il fait, si bon… Nous marchons, Paul et moi, à côté.

— « Vous êtes heureux, mon cher Hénart. »

— « Je vous souhaite quelque chose telle ; je vais, tout-à-l’heure, revoir ma bonne future femme ; elle m’attend sans en avoir l’air ; sa maman se moquerait d’elle. Mais nous voici à Saint-Augustin. Vous remontez l’avenue Portalis ? »