Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/47

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salie de nous, et très triste, triste, triste, angoissante d’une irrelevable chûte ; je songeai l’autre, la très belle que j’aimais ; pauvre pauvre âme, âme si douloureuse… Oh soir ! j’étais plein de ces malaises ; un soir de mars ; il y avait ici un feu de bois ; dehors, un ciel froid, très sec et clair, nulle brise, un ciel très profond, très lointain, un ciel appeleur des pensées ; c’était un très profond ciel aux lointains solliciteurs, très haut, très chaste, rayonnant, très pieux ; un air clair, une montée de toutes choses vers le haut ; ici, la chaleur douce du feu, la solitude, et des hantements…

« … Vous ne croyez pas que je vous aime ? — Oh puisse l’action que je vais faire retomber bienfaisamment sur sa pauvre âme. — Mon amie, j’ai songé les choses qui sont entre nous ; follement je vous désirais ; que ce soit mon excuse ; je vous ai contrainte ; j’implore votre pardon. Je puis rester ici cette nuit, mon amie… Adieu, vous êtes bien aimée ; je vous rends votre corps, et je vous quitte, parce que je vous aime. — Et je prendrai sa tête dans mes mains, je regarderai ses yeux, et je baiserai ses lèvres, et je dirai : — Adieu. »

Oui, ces paroles, et non les mauvaises requérances. Et jamais l’occasion, ces paroles, de les dire.

« Mon cher ami, j’ai absolument besoin de vous voir. Je vous attends ce soir à dix heures. Bien vôtre. Léa. »

Qu’y a-t-il encore eu ce soir ?… Le soir où elle a été malade ? certes ; la nuit que j’ai passée à la soigner. Comme elle était meurtrie, froissée, et affaissée, suffocante ! je l’avais attendue longtemps ; elle est arrivée tout défaite, presque hors sens ; elle s’est couchée, et j’ai demeuré au près de son lit ; nous lui mettions des compresses sur le front ; elle a renvoyé sa femme-de-chambre ; je l’ai soignée ; j’ai ainsi passé la nuit, dans