Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/5

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— « Il y a un peu moins de monde sur ce côté droit » dis-je.

Nous suivons le trottoir, l’un près l’autre. Chavainne :

— « Eh bien, un tel plaisir ne vaut pas ce qu’il coûte. Depuis trois mois que vous connaissez cette jeune femme… »

— « Depuis trois mois, je vais chez elle ; mais vous savez bien qu’il y a plus de quatre mois que je la connais. »

— « Soit. Depuis quatre mois, vous vous ruinez vainement. »

— « Vous vous moquez de moi, mon cher Lucien. »

— « Avant de lui avoir jamais dit une parole, vous lui donnez, par l’entremise de sa femme-de-chambre, cinq cents francs. »

Cinq cents francs ? non, trois cents. Mais, en effet, j’ai dit à lui cinq cents.

— « Si vous croyez » il continue « que ces sortes de munificences incitent une femme de théâtre à de réciproques générosités… Changez votre système, mon ami, ou vous n’obtiendrez rien. »

L’agaçant raisonnement ! Croit-il, lui, que si je n’obtiens rien, ce n’est pas parce que je ne veux, moi, rien obtenir ? J’ai grand tort à lui parler de ces choses. Brisons.

— « Et j’aime mieux, mon cher, ces folies, que bêtement faire la noce avec d’absurdes filles d’une nuit. »

Cela soit dit pour toi. Le voilà muet. Certes, un excellent ami, Lucien Chavainne, mais si rétif aux affaires de sentiment. Aimer ; et honorer son amour, respecter son amour, aimer son amour. À marcher le temps est chaud ; je déboutonne mon par-dessus ; je ne garderai pas ma jaquette, ce soir, pour sortir avec Léa ; ma redingote sera mieux ; je pourrai prendre mon chapeau de soie ; Chavainne a un peu raison ; d’ailleurs suis-je