Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/55

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur l’asphalte une ombre plus épaisse ; à présent des filles, trois filles qui parlent entre elles ; elles ne me remarquent pas ; une très jeune, frêle, aux yeux éhontés, et quelles lèvres ; elles seraient, ces obscènes lèvres, sous la complicité impérieuse des yeux, combien savantes aux perverses jouissances ! et cette fille, ainsi est-ce donc ? en une chambre nue, vague, haute, nue et grise, sous un jour fumeux de chandelle, avec un assourdissement des tumultes de la rue grouillante ; ce serait une haute chambre étroite, oui, le grabat, la chaise, la table, les murs gris, et l’agenouillement de la bête parmi le lit ; alors ces yeux, et les lèvres luxurieuses, montantes et remontantes, tandis qu’elle geint, et qui halètent ; la voici, cette fille, qui parle ; les trois, sur le trottoir, oublieuses des promeneurs ; moi, demain, j’ai le cours, l’ennuyeuse école, et dans trois mois l’examen ; je serai reçu ; adieu lors la franchise de tous les jours, mais la charge d’un emploi ; allons ; maintenant partout des filles ; le café ; des jeunes gens entrent ; un monsieur qui ressemble à mon tailleur ; si je me rencontrais à quelque ami ; mieux certes, mieux être seul, marcher par un bon soir très librement, sans but, en des rues ; l’ombre des feuillages ondoie sur l’asphalte, un air frais court, les trottoirs très secs et blancs luisent ; une bande de jeunes filles là-bas, droites, très hautes, minces et de façons séduisantes ; là, des enfants ; les façades scintillent ; la lune a disparu ; c’est, tout au tour, un bruissement ; quoi ? des sons confus, épars, unis, un bruissement… bravo l’avril ! oh, le beau, le beau soir, ainsi très libre, sans pensées, ainsi très seul.