Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/60

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— « Ma pauvre chérie, voulez-vous ne pas parler ainsi ; en voilà des idées ; vous savez bien que je vous aime pour de bon ; pourquoi n’acceptez-vous pas que je vous emmène, que nous soyons ensemble ; dites. »

— « Allons » tristement et gentiment elle me répond, « allons, êtes-vous fou ? »

— « Et en quoi, mon amie ? »

Dans ses yeux je la regarde ; elle est appuyée aux coussins ; les lumières des bougies éclairent nos visages ; gentiment, tristement, elle est étendue, pâle ; je la regarde ; je tiens ses mains. Elle, souriante :

— « C’est extraordinaire comme vous avez les cils longs. »

Souriante toujours, elle me regarde, immobilement.

— « Vous êtes une bien malheureuse petite femme. »

Elle ferme ses yeux.

— « Ah, comme je voudrais être débarrassée de tout ! s’il y avait un moyen d’en finir, d’un seul coup, sans souffrir, quelque chose instantanée ; s’endormir tout-à-fait, puisqu’il n’y a qu’en dormant qu’on soit heureux. »

Que lui dire ? je ne puis pas rire, ni la prendre trop au sérieux ; c’est embarrassant. Près moi elle est, mi étendue, immobile, en une vague somnolence.

— « Eh bien, mademoiselle, faites dodo. »

Dans mes mains je serre ses bras ; elle a toujours ses yeux fermés ; j’attire doucement ses bras ; elle se laisse ; en arrière penche sa fine tête, ah, sa méchante traîtresse tête qui de moi si effrontément se joue ! et là je l’ai ; doucement sur les coussins je me renverse, et contre moi j’attire sa poitrine ; sa poitrine est contre ma poitrine ; sa tête est sur mon épaule ; de mes deux mains j’entoure sa taille ; elle repose au contre de moi ; ainsi entre mes bras, elle repose ; sur ma joue, sur mon cou, quelque chose, oui, ses cheveux, qui voltigent ; immobile elle est : tout au long de mon corps, son corps ; je