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Page:Dujardin - Les Lauriers sont coupés, 1887, RI.djvu/76

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descendra de voiture la première ; puisqu’elle est à droite, elle sera du côté du trottoir ; elle consentira au moins à ce que je la ramène dans sa chambre ; alors que me dira-t-elle ? me laissera-t-elle enfin rester ? non, cela est invraisemblable ; je ne voudrais non plus ; un quart d’heure me suffira, dans sa chambre, pendant qu’elle ôtera son manteau et son chapeau ; si pourtant elle voulait me garder ! elle doit penser que ce lui est nécessaire, un jour ou l’autre, une fois à la fin ; ce soir elle paraît s’être arrangée pour être libre ; si c’était ce soir ! si ce n’était pas encore ce soir ! il faut pourtant qu’elle se décide ; elle ne peut s’imaginer que je veuille toujours être un amant platonique ; je ne lui ai jamais déclaré, en somme, pareille intention ; elle ne doit pas s’imaginer non plus qu’elle m’ait réduit à tout endurer d’elle sans en rien obtenir ; oh, que de trouble ! L’affilée longue des lumières se rapproche ; d’autres voitures ; c’est le boulevard Malesherbes ; s’avance notre voiture, Léa et moi ; pourquoi plutôt aujourdhui m’accepterait-elle ? depuis un si long temps elle réussit à me congédier gentiment ; mais je ne lui demandais rien, je n’avais l’air de rien lui demander ; alors comment d’elle-même m’aurait-elle prié ? voilà ce qui serait admirable, qu’un jour, elle, elle voulût, qu’elle désirât, elle, et qu’elle aimât ; et près moi, immobile elle est ; hélas, combien lointaine l’espérance ! immobile, indifférente et quelconque, elle demeure ; vaguement devant soi elle regarde ; dans son manteau elle cache ses mains ; elle a négligemment devant soi ses yeux ouverts ; nous allons en cette nuit calme, sans fatigue ; les maisons hautes et mi sombres ont des fenêtres rougement claires ; à gauche, les arbres ; le trot égal, sur la chaussée, du cheval ; le cheval gris blanc qui régulièrement trotte ; ici, elle, silencieuse et immobile, qui rêvasse sans doute, elle, indifférente, quelconque, immo-